11 septembre : le déclin des médias (06/09/2011)

11septembre2.jpgDix ans après les attentats du 11 septembre 2001, le paysage médiatique a beaucoup évolué aux Etats-Unis. Pour le pire, explique Edward Wasserman (1), professeur de déontologie journalistique dans le Courrier International.

Les dix ans qui nous séparent du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant dans l’histoire des médias : Internet a explosé, les moteurs de recherche sont devenus le premier outil de captation d’une audience, les réseaux sociaux sont en plein essor ainsi que les appareils mobiles, les tablettes et maintenant les applications créées pour chaque catégorie d’information et de divertissement.

La rapidité et la richesse de ces innovations médiatiques s’accompagnent toutefois d’un paradoxe avec le déclin des médias en tant qu’institution. Je ne parle pas ici des médias comme source d’information - ils restent en cela indispensables - mais en tant qu’entités douées de la volonté, des moyens matériels et du courage intellectuel nécessaires pour résister à de sérieuses tentatives de manipulation et s’exprimer en toute indépendance au nom de ce qu’elles estiment être l’intérêt du public.

La décennie passée, que l’on s’apprête à commémorer en grande pompe, est encadrée par deux des plus grands échecs de l’industrie des médias depuis la guerre du Vietnam. Ces deux désastres ont eu des répercussions historiques. Le premier a eu lieu peu de temps après l’effondrement des tours jumelles lorsque les médias ont littéralement mené campagne pour l’administration Bush, alors en quête d’un soutien populaire autour de l’invasion et de l’occupation de l’Irak, et plus largement, de la guerre contre le terrorisme.

Bush_11septembre.jpgLa complicité des médias dans cette grande panique de l’après-11 septembre a eu plusieurs facettes. Le patronage - à quelques notables exceptions près – des mensonges de l’administration Bush sur les armes de destruction massive en Irak n’en a été que l’aspect le plus visible.

L’émergence et la quasi indifférence que suscitent toujours des propositions aussi douteuses que radicales auront été plus dommageables à long terme ; l’idée notamment que le pays a besoin d’un réseau permanent de bases avancées dans le monde et d’un gigantesque appareil domestique visant à protéger le "territoire" ["homeland"] (concept linguistique flou apparu après le 11 septembre) ; que le gouvernement peut et doit soumettre les citoyens ordinaires à des fouilles et à une surveillance permanentes, qu’il peut emprisonner des hommes sans chef d’inculpation et les maintenir en détention sans procès, qu’il peut torturer en toute impunité et doit finalement toujours être sur le pied de guerre comme s’il s’agissait chaque jour de lutter pour sa survie.

Le simple fait que ces propositions puissent encore paraître défendables – alors que tout indique que le pays n’était véritablement menacé que par un petit groupe de meurtriers fanatiques mais plein de ressources – témoigne de l’influence durable de médias qui ont essentiellement répété ce qu’on leur disait de dire.

L’autre échec des médias, celui qui ferme cette lamentable décennie de co-optation, a été l’hystérie autour du déficit des Etats-Unis. Cette couverture médiatique a complètement empêché le gouvernement de réagir face à l’un des problèmes économiques les plus importants de ces 80 dernières années.

Certes, le déficit public - gonflé par les dépenses inconsidérées et non-financées de l’administration précédente - s’est aggravé et reste un véritable problème à long terme. Il est toutefois stupéfiant de voir l’importance qu’accordent aujourd’hui les médias à cette question. Le déficit a rapidement commencé à faire la une des médias au début de l’année 2010, alors que l’économie américaine était encore sous le coup d’une grave récession provoquée par les excès de Wall Street et qu’elle n’avait été sauvée que de justesse par les mesures d’urgence prises par les présidents Bush et Obama.

Le discours a changé du jour au lendemain. Les journalistes ne suggéraient plus de nouveau stimulus budgétaire pour relancer une économie désespérément atone. En dépit d’une croissance anémiée, de la chute du marché immobilier, du nombre de saisies de logements ou de l’inquiétante montée du chômage, les médias les plus influents ne semblaient capables que d’entonner la même complainte : celle du déficit fédéral.

Existait-il la moindre corrélation entre le déficit et la récession ? Pas vraiment. A en juger par la faiblesse des taux d’intérêt accordés aux Etats-Unis, les marchés financiers n’ont pas la moindre réticence à leur faire crédit.

Le zèle des médias dans leur couverture du drame du déficit a fait croire au public qu’il s’agissait d’une question cruciale, justifiant que l’on ignore pendant des semaines ce qui se passait dans l’économie réelle, du sort des familles expulsées de chez elles, à la détresse des chômeurs en passant par la montée de la pauvreté et l’impunité des grands gourous de la finance à l’origine du désastre actuel.

La diabolisation de la dette n’est toutefois qu’un prétexte. Le véritable objectif est de paralyser le gouvernement à des fins partisanes, au nom d’un retour à des politiques réactionnaires cherchant à discréditer le secteur public et à dénigrer toute personne susceptible de venir à son secours.

Les dix dernières années ont été longues et chargées en évènements. Les médias nous ont offert de nouveaux jouets incroyables et des opportunités inédites. Néanmoins, il fut un temps où les médias étaient également des institutions conscientes qu’elles avaient un rôle à jouer dans la société et pas seulement un marché à satisfaire, et que ce rôle les obligeait parfois à s’opposer au discours officiel au lieu de le renforcer.

Ce rôle est aujourd’hui en plein déclin.

(1)Edward Wasserman enseigne l'éthique du journalisme à la fondation James L. Knight et à l'université de Lee à Lexington (Virginie). Il écrit régulièrement sur les problématiques liées aux droits des médias (plagiat), aux transformations technologiques que traverse ce secteur ainsi qu'aux empires médiatiques (conflits d'intérêt).

 

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