Zemmour face à Hanouna, une vision alarmante du débat démocratique (18/12/2021)
Jeudi, sur C8, chaîne du groupe Bolloré, Cyril Hanouna lançait “Face à Baba”, une émission pensée sur mesure pour recevoir le candidat d’extrême droite. Un spectacle affligeant, contraire à toute exigence journalistique et démocratique.
Il y a encore deux ans, Cyril Hanouna affirmait qu’il ne recevrait jamais Éric Zemmour sur son plateau. Mais ça, c’était avant que le polémiste d’extrême droite, ex-figure de proue de CNews et chouchou de Vincent Bolloré, ne lance sa campagne médiatique en vue de l’élection présidentielle. « Dès qu’il arrive sur un plateau, on sait que l’audience va décoller », salivait l’animateur en septembre dans Touche pas à mon poste (TPMP), lorgnant déjà la possibilité de faire un coup en l’invitant sur C8.
Ce jeudi 16 décembre, après des semaines de teasing, il lançait donc Face à Baba, une nouvelle émission de débat, créée sur mesure pour recevoir Éric Zemmour en prime time. Un coup d’audience, assurément : la première partie du show (long de plus de trois heures) a réuni 2,2 millions de téléspectateurs, soit 10,5 % de part de marché. Mais surtout, un coup supplémentaire porté aux principes du débat démocratique.
Le concept : dix personnalités affrontent à tour de rôle Éric Zemmour lors de « matchs » de dix minutes. Mais ça, c’était sur le papier : en réalité, la production a convié « cinq personnes qui sont plutôt contre lui, et cinq qui sont plutôt avec lui, pour qu’on soit dans une équité totale », expliquait Cyril Hanouna dans TPMP quelques minutes avant le démarrage de Face à Baba, rappelant ainsi sa conception du débat d’idées. Il le répète à l’envi : pour lui, qui n’est pas journaliste mais animateur de divertissement, les journalistes politiques sont « agressifs ». « Je ne suis pas là pour insulter ou invectiver […] Ce soir, je ne veux pas d’agressivité », annonce-t-il donc d’emblée.
Un hymne au groupe Bolloré
En plateau, Garen Shnorhokian, porte-parole des Amis d’Éric Zemmour, exulte : « Vous êtes l’un des plus grands démocrates de ce pays. » « On a une liberté totale, on fait ce qu’on veut », répond Cyril Hanouna, dans une hallucinante tirade vantant la liberté d’expression qui régnerait dans le groupe Bolloré. « C’est ça qui est incroyable dans ce groupe, et la liberté qu’on a sur C8, je crois qu’on ne l’aura nulle part ailleurs. À TF1, quand y a une émission politique, toute la direction se mêle de savoir quelles questions vont être posées. Ici, je vous le dis, c’est la magie de C8. » Il fallait oser, alors que le magnat Vincent Bolloré exerce une censure brutale dans les médias qu’il rachète les uns après les autres, menaçant toujours plus la liberté d’expression…
Annoncé comme le grand adversaire de la soirée, l’acteur-réalisateur Mathieu Kassovitz est finalement coincé chez lui, positif au coronavirus. Après sa question enregistrée, c’est l’écrivain Aymeric Caron qui ouvre véritablement le bal, ulcéré, débordant, refusant quasiment à Éric Zemmour le droit de répondre à ses offensives. Dans le chaos habituel des émissions de Cyril Hanouna, incapable d’orchestrer le débat, les opposants Karim Zéribi, chroniqueur CNews et C8, le député Insoumis Alexis Corbière ou encore Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, tentent avec plus ou moins de sang-froid de contredire l’idéologie d’Éric Zemmour.
Cyril Hanouna, lui, sous couvert de garantir l’« équité », fait alterner charges des contradicteurs et moments de connivence assurés par des amis du polémiste : Éric Naulleau, à la fois chroniqueur de la bande à Hanouna et proche du candidat d’extrême droite, succède ainsi à Aymeric Caron. Naulleau, qui, le 5 décembre, était assis au premier rang du carré VIP au meeting de Villepinte, en tant que « chroniqueur politique et ami ». « L’amitié est-elle plus importante que les idées politiques ? », interroge Cyril Hanouna, sombrant dans l’entre-soi, à mille lieues des préoccupations des Français. Un boulevard offert à Naulleau, qui brosse un portrait tout amical de Zemmour, entre négation de la réalité (Zemmour n’est « pas raciste », affirme-t-il, alors qu’il a plusieurs fois été condamné pour ses propos) et euphémisation malhonnête (le polémiste serait « le représentant d’une droite authentique un peu à l’ancienne » ).
Autre soutien, la journaliste Christine Kelly, « amie » de Cyril Hanouna et présentatrice de Face à l’info, l’ex-tribune quotidienne d’Éric Zemmour sur CNews. « Il a changé votre vie, Éric Zemmour, c’est un succès énorme, Face à l’info », flatte Cyril Hanouna, dans un grand moment de com corporatiste. Comment Zemmour était-il, hors caméra ? « Un puits de connaissance », « toujours souriant », « sérieux sans se prendre au sérieux », affirme Christine Kelly, qui se remémore une « ambiance familiale où on rigole », avant d’assurer, sans qu’on lui demande, qu’Éric Zemmour ne l’a « jamais draguée ». « On a passé deux ans magiques, chacun rendait l’autre meilleur », renchérit le candidat. Un conte de fées.
Dernier soutien à entrer en piste, Stanislas Rigault, 22 ans, président de Génération Z, « talentueux, orateur incroyable, vous êtes venu dans l’émission, j’étais impressionné », dégouline d’admiration Cyril Hanouna. Le jeune homme semble heureux comme un poisson dans l’eau : il faut dire que Cyril Hanouna réserve depuis longtemps une place de choix aux amis et soutiens d’Éric Zemmour dans ses émissions. La chercheuse Claire Sécail, qui les passe au crible depuis plusieurs mois, publiait fin octobre sur Twitter un décompte du temps d’antenne consacré aux différents candidats à la présidentielle déclarés ou présumés entre septembre et octobre derniers sur les plateaux de Cyril Hanouna. Éric Zemmour trônait en tête avec 40,3 % de temps d’antenne cumulé, loin devant Emmanuel Macron, en deuxième position avec 25,8 %.
TPMP est depuis la rentrée un haut lieu de défense corporate d’Éric Zemmour, qui avait accordé « en exclusivité » à Hanouna sa réaction en vidéo après la décision de CNews de se séparer de lui en septembre. Le 6 décembre, le sommaire de l’émission fait une large place au débriefing du meeting de Villepinte, marqué par une explosion de violence verbale et physique. À la question « A-t-il réussi le lancement de sa campagne ? », la bande de chroniqueurs répond un grand oui, fascinée par le show du candidat et par sa couverture médiatique, saluant une « démonstration de force », un meeting « très bien organisé », « beau esthétiquement ». La violence alors évoquée en plateau, c’est d’abord celle dont avait été victime Éric Zemmour, blessé au poignet par un jeune homme qui l’a agrippé alors qu’il fendait la foule. Puis c’est celle, verbale, dont a souffert Tanguy David, un responsable départemental du mouvement Reconquête !, menacé et insulté sur les réseaux sociaux après s’être affiché derrière le candidat sur scène.
Le tabassage de militants de SOS Racisme en plein milieu du meeting par des membres des Zouaves de Paris, groupuscule d’ultra-droite, y est quant à lui abordé par une question indirecte, alambiquée, qui laisse la porte ouverte à l’inversion des responsabilités. « Est-ce que vous êtes choqués par ceux qui justifient les violences contre SOS Racisme ? » De celles perpétrées contre des journalistes, de la haine attisée par Zemmour contre les médias, en revanche, il ne fut pas question. Un silence finalement cohérent avec la vision de la démocratie portée par les émissions de Cyril Hanouna.
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