«Aujourd’hui ce sont les milliardaires qui vous informent» (10/06/2016)

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La concentration des médias bat son plein dans le monde et en France. La finance et les grands industriels du CAC 40 investissent dans la presse, dans l’audiovisuel et dans les télécoms. Comment faire vivre un journal comme l’Humanité dans cet univers ?

Peut-il encore exister des journaux indépendants des pouvoirs financiers ? Ce n’est pas qu’une question de moyens, c’est avant tout une question politique. Aujourd’hui, des titres comme l’Humanité, la Croix, le Monde diplomatique, Politis, ou encore la Marseillaise (…), indépendants des entreprises du CAC 40, doivent démultiplier des trésors d’imagination pour vivre. Paradoxe, les quotidiens qui perçoivent le plus d’aides à la presse sont aussi ceux qui sont adossés aux milliardaires de ce pays.

Le phénomène est global. Tous les continents sont touchés par la concentration des médias. En quelques années, de nouveaux acteurs, souvent de l’Internet et des télécoms, de riches industriels sont venus bouleverser l’univers médiatique et mettre la main sur l’information mondiale. Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières (RSF), qui estime que la concentration des médias n’a jamais été aussi forte dans le monde, relève qu’aux États-Unis, 6 groupes (GE, News Corp, Disney, Viacom, Time Warner, CBS) possèdent 90 % des médias. Ils étaient une cinquantaine de « compagnies » en 1983. Comment ne pas penser que cette mainmise sur la diffusion culturelle menace le pluralisme et d’indépendance de l’information ? Dans l’ouvrage 100 Photos pour la liberté de la presse, photographies de Sebastiao Salgado, tout juste en vente, Reporters sans frontières, sous le titre « Les oligarques font leur shopping », pointe les fortunes qui, en Inde ou en Chine, en Russie ou aux États-Unis, ont acheté à tour des bras et de façon boulimique des moyens d’information.

Seuls les quotidiens la Croix et l’Humanité sont indépendants

En France aussi, selon ce rapport, une poignée de milliardaires contrôle 90 % des médias. De nouveaux acteurs, aux stratégies d’acquisition très agressives, ont fait leur apparition comme Vincent Bolloré, Xavier Niel ou Patrick Drahi. 57e fortune mondiale, 3e française, Drahi pèse plus de 20 milliards d’euros. Le chiffre d’affaires du groupe Altice, qu’il a fondé, représentait, en 2014, 13,5 milliards d’euros. À la tête du câblo-opérateur Numericable, l’homme d’affaires a acquis l’opérateur SFR, mis sur le marché par Vivendi, multiplié les rachats dans le câble, la téléphonie mobile et l’Internet. Et le groupe, par l’intermédiaire de sa filiale Altice Media Group, est devenu l’un des principaux acteurs financiers du marché de la presse et des médias. L’Express, l’Expansion, Libération… une vingtaine de magazines sont passés sous sa coupe. BFMTV, RMC, du groupe NextRadio, suivent le chemin qui mène à Drahi, lequel poursuit ses emplettes à coups de réduction des coûts et de plans sociaux, tout en s’endettant (40 à 45 milliards d’euros). Le résident suisse possède la chaîne d’information israélienne i24news, basée à Tel-Aviv, dont le patron des rédactions est aujourd’hui Paul Amar, ancien journaliste de la télé française.

« Aujourd’hui, en France, avance Michel Diard, journaliste, docteur en sciences de l’information et de la communication, cinq des sept quotidiens nationaux sont la propriété de quatre des dix plus grandes fortunes du pays : la première (Bernard Arnault) contrôle les Échos et le Parisien, la cinquième (Serge Dassault), le Figaro, la sixième (Patrick Drahi), Libération, la dixième (Didier Niel), le Monde ; seuls la Croix et l’Humanité sont indépendants des milieux industriels et financiers. Le constat ne s’arrête pas aux quotidiens nationaux ; l’audiovisuel privé (chaînes de télévision et de radio), la presse magazine et la presse spécialisée sont contrôlés par des conglomérats industriels ; la presse régionale est, elle, sous l’étroite dépendance des banques, le Crédit mutuel et le Crédit agricole essentiellement. »

Les faits de censure et d’autocensure se multiplient

Depuis le rachat du Figaro par l’avionneur Serge Dassault en 2004, puis, en 2007, des Échos par le leader du luxe Bernard Arnault, on a changé d’époque. Arnault rachète Investir, le Monde de la musique, Radio Classique, puis, plus récemment, le Parisien-Aujourd’hui en France au groupe Amaury. Un trio d’actionnaires – Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse – va, lui aussi, faire parler de lui en investissant 110 millions d’euros dans le rachat du Monde. Niel, le fondateur de Free, et Pigasse, codirecteur de la banque Lazard et propriétaire des Inrockuptibles, se joignent au milliardaire Pierre Bergé pour acquérir le Monde, qui a déjà mis la main sur les publications de la Vie catholique (Télérama, la Vie). Le Monde acquiert avec sa nouvelle équipe le Nouvel Observateur, devenu depuis l’Obs, ainsi que Rue89.

Les plus grands magazines français, l’Express, l’Obs, le Point, Paris Match, appartiennent tous à des milliardaires, dont certains vivent de commandes de l’État et sont proches des pouvoirs. Parmi eux, Vincent Bolloré, l’homme qui a prêté son yacht, le Paloma, à Nicolas Sarkozy juste après l’élection présidentielle de 2007. Bolloré est aujourd’hui à la tête d’un groupe diversifié qui fait aussi bien dans la voiture électrique, le commerce en Afrique ou dans les médias. Vincent Bolloré est devenu le premier actionnaire de Vivendi, en a pris la présidence du conseil de surveillance, avec elle celle de Canal Plus. Dès sont arrivée, il ne s’est pas privé de mettre son nez dans les programmes et a renouvelé quasiment toutes les directions. Les Guignols sont passés en crypté, avant une mort prochaine. Des têtes tombent ou vont tomber, comme celle de Patrick Menais, le M. Zapping, coupable d’avoir passé des extraits d’une enquête sur l’évasion fiscale du Crédit mutuel, diffusée sur France3 après avoir été interdite sur Canal Plus. Le magazine Spécial Investigation voit également nombre de ses sujets retoqués. Aujourd’hui, comme le dit Michel Diard, ex-secrétaire général du SNJ-CGT, ce sont « les milliardaires (qui) vous informent ».

Pourquoi une telle concentration ? On se souvient qu’en son temps, Nicolas Sarkozy avait souhaité, en 2008, à la suite des états généraux de la presse écrite, la constitution de « champions nationaux », pour faire face aux géants mondiaux de l’Internet, les fameux Gafa – Google, Apple, Facebook et Amazon –, dont le profit est la priorité et le formatage des esprits, une règle commerciale.

Dans ce contexte, les temps sont durs pour une presse écrite fragilisée par les bouleversements numériques et plus encore pour celle qui porte les alternatives au libéralisme. Les faits de censure et d’autocensure se multiplient à mesure que les médias se concentrent entre quelques portefeuilles. La bataille du secret des affaires, du secret des sources bat son plein pour y résister. La Commission européenne va étudier une directive liberticide sur le secret des affaires. Si elle avait été en vigueur, le scandale fiscal planétaire dit Panama Papers ne serait jamais sorti. Car la stratégie des grands financiers d’avaler tous les groupes de presse est claire : faire taire le contre-pouvoir à rengaine libérale « Il n’y a pas d’alternative ». Nous voulons croire que si.

Claude Baudry l'Humanité

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19:13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : presse, médias, cac 40, manipulation | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |