14/08/2013
AUX COTES DES LANCEURS D'INFORMATIONS !
Pour avoir permis la fuite de près de 700 000 documents militaires et câbles diplomatiques vers l’organisation Wikileaks, un jeune soldat américain, Bradley Manning, risque cent trente six années de prison. 136, c’est-à-dire au delà de la perpétuité ! Présenté devant le tribunal la semaine dernière, après avoir été arrêté en 2010 en Irak où il était en poste, B. Manning était enfermé à la prison militaire de Quantico dans l’état de Virginie.
Tous les experts et associations des droits humains, jusqu’au rapporteur de l’ONU sur la torture, ont dénoncé des conditions de détention insupportables. Le chef d’accusation de « collusion avec l’ennemi » n’a finalement pas été retenu par le tribunal. Mais, il reste accusé de vingt et un autres délits, dont le viol de la loi sur l’espionnage, le vol ou la fraude informatiques. Qu’est ce qui gène le plus une partie de l’administration de l’armée et de la justice nord-américaine ?
Ce sont les révélations sur la manière dont sont menées les guerres en Afghanistan et en Irak. B. Manning a révélé les graves abus commis par l’armée des États-Unis dont un acte de guerre atroce où on voit un hélicoptère US cibler et tirer sur une douzaine de personnes, dont deux photographes de l’agence Reuter.
Certes, les secrets d’état peuvent exister. Mais ici, il s’agit d’autre chose. Il s’agit, à partir d’informations toujours cachées au grand public, de dénoncer des faits et des risques de dérives graves, préjudiciables même à l’image des États-Unis d’Amérique. Ainsi, que les citoyens américains et les autres aient accès à de telles informations, ne peut donc que susciter un débat salutaire sur les méthodes de l’armée américaine, voir au-delà, sur la pertinence de ces guerres.
Des secteurs de la justice et de l’armée ont reproché à B. Manning d’avoir servi Al Qaïda ou Ben Laden dévoilant ces informations. C’est renverser les choses ! En effet, n’est-ce pas l’armée nord-américaine et les services secrets qui ont formé les leaders terroristes pour empêcher toute forme de contestation progressiste et tout mouvement d’émancipation humaine? Alors que le régime nord-américain déstabilisait et fomentait des coups d’état en Amérique Latine, développait la guerre froide et s’attaquait aux forces progressistes et aux partis communistes, il créait ces montres dont il ne sait que faire aujourd’hui tant ils lui échappent.
De même, vient encore d’être révélé, il y a quelques semaines, grâce à Edward Snowden, un ancien employé des services NSA, que les Etats-Unis écoutent le monde entier, jusqu’aux gouvernements européens, qui se comportent en petits vassaux, comme vient de le prouver l’ouverture de négociations sur un projet de marché transatlantique comme si la révélation de ce vaste système d’écoutes ne leur faisait ni chaud ni froid!
Mais quel est la question de fond? La même que depuis la fin de la seconde guerre mondiale mais dans un contexte totalement bouleversé par la crise et par l’émergence de nouveaux pays qui comptent sur la scène internationale, tandis que l’expérience des peuples qui, plus ou moins confusément, au prix d’une multitude de tâtonnements, cherchent de nouveaux chemins pour l’émancipation humaine.
C’est dans ce contexte nouveau que les dirigeants et l’administration nord-américaine cherchent à conserver, affermir et renforcer leur domination mondiale qui leur est contestée. C’est ce qui transparaît tout au long d’un rapport récent de la CIA sur la perspective d’ici 2030. Ce dernier évoque plusieurs scénarios d’avenir dont celui de la poursuite du relatif déclin nord-américain en le présentant comme une catastrophe mondiale, en ces termes : « L’effondrement ou le retrait soudain de la puissance américaine engendrerait très certainement une longue période d’anarchie mondiale* ».
Permettre aux États-Unis de garder cette suprématie impliquerait donc de les laisser faire. Dans ce cadre, ils devraient bénéficier d’une totale impunité et les autres pays devraient leur livrer tous les lanceurs d’alerte, comme ils ne cessent de le réclamer. Le monde de la liberté n’a décidément pas le visage qu’on lui prête. Et pourtant, aucun grand débat, aucune sorte de mouvement de protestation n’est développé parmi celles et ceux qui se présentent comme les défenseurs des droits de l’homme.
Pourtant, aux Etats-Unis mêmes, les révélations de B.Manning ont déclenché dans l’opinion des questionnements sur la guerre et aussi sur la transparence et le secret d’état. Sur d’autres sujets, comme les paradis fiscaux, la fraude fiscale, ceux que l’on appelle « les lanceurs d’alerte » sont très utiles à l’information et au débat public. Ce procès aux Etats-Unis et la lourde condamnation de B. Manning créent un climat de peur, menaçant le journalisme d’investigation et le droit d’être informé.
Raison de plus pour se mobiliser afin de défendre les libertés partout. Mais peut être que cette chasse aux lanceurs d’informations est elle le révélateur d’enjeux plus profonds qui ont a voir avec la multitude de crises qui touchent en profondeur les Etats –Unis et tout le monde occidental : Les lourds échec en Afghanistan, l’Irak ,la crise économique et financière sans fin. C’est la crise de l’hégémonie nord-américaine sur un monde en pleine recomposition qui est amorcée. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour les peuples. Cela peut expliquer leur agressivité. Raison de plus pour ne pas laisser, B Manning, Assange ou Swoden seul !
* Le monde en 2030 vu par la CIA (rapport CIA)
Patrick Le Hyaric, directeur de l'Humanité, député au parlement européen
13:59 Publié dans Actualités, Dossier, Eclairage, Informations, Journal, Journaliste | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bradely manning, usa, le hyaric, l'humanité | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |