08/07/2024
44 % des téléspectateurs du JT de TF1 ont voté RN : comment les chaînes influencent le vote
Plusieurs études et chercheurs confirment que chaque JT a son public et que, dans les moments de grande tension politique, telle la campagne des législatives anticipées, certains médias « se mettent à défendre plus ouvertement les intérêts de leurs patrons ».
La chaîne de référence d’un citoyen dit-elle quelque chose de son positionnement idéologique ? Participe-t-elle à conforter son vote ? C’est ce qu’affirme une étude Ifop commandée par Marianne au lendemain des élections européennes. Près de 44 % des téléspectateurs du 20 heures de TF1 interrogés affirment ainsi avoir voté pour la liste du RN, contre 7 % pour celle du Parti socialiste ou 6 % pour celle de la France insoumise.
Les rédactions se sont retrouvées sur le pied de guerre à la suite de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, le 9 juin. Des journalistes n’ont pas hésité à outrepasser le métier pour influer sur les scrutins. « Cette campagne des législatives s’est présentée comme un récit feuilletonnant », explique Céline Ségur, enseignante-chercheuse au Centre de recherche sur les médiations à l’université de Lorraine.
« C’était un gros bazar, le débat s’est exacerbé avec des mensonges proférés à l’antenne », pointe Pierre Mouchel, délégué syndical central CGT à France Télévisions. Une situation dans laquelle les chaînes se sont repliées sur des publics déjà acquis, en confortant leur positionnement politique.
« Complaisance pour l’ex-majorité présidentielle »
De quoi pousser des salariés à une remise en question : « Nous sommes tous en pleine introspection et un regard critique est plus que sain », mesure auprès de l’Humanité un journaliste de TF1 souhaitant conserver l’anonymat. Aux européennes, les habitués du JT de France 2 ont, quant à eux, voté en majorité pour la liste conduite par Raphaël Glucksmann (Place publique et PS, 26 %) et en faveur de celle menée par Valérie Hayer (Renaissance, 23 %).
Ce qui n’a pas manqué de faire réagir dans les rédactions lors des législatives anticipées : « Nous trouvions qu’il pouvait y avoir une complaisance pour l’ex-majorité présidentielle par rapport au Nouveau Front populaire, notamment au travers du traitement de Nathalie Saint-Cricq », rapporte Pierre Mouchel, qui temporise cependant les résultats de l’étude. « Les chaînes ont des sociologies de téléspectateurs très différentes. Il faut faire attention aux biais d’interprétation », souligne-t-il.
L’enjeu est pourtant fondamental : le traitement médiatique d’une campagne est devenu indissociable de la campagne elle-même. Les législatives anticipées ont d’ailleurs généré, du 9 au 21 juin, un « bruit médiatique proche de celui qu’avait provoqué la campagne présidentielle en cinq semaines en 2022 », démontre une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée le 26 juin.
L’institut fait état – télévision et radio compris – de 16 124 contenus (reportages, interviews, débats) consacrés aux législatives sur cette période. Soit, pour les deux journaux télévisés les plus suivis que sont le 20 heures de TF1 et celui de France 2, respectivement cinq et sept sujets quotidiens en moyenne.
Bardella et Ciotti ont été les deux représentants politiques les plus mentionnés
Le tumulte qui s’est créé autour de l’union entre la ligne Ciotti des « Républicains » et le Rassemblement national (RN) a notamment occupé une grande place. Poussés par plusieurs chaînes, comme celles du groupe Bolloré, Jordan Bardella et Éric Ciotti ont été les deux représentants politiques les plus mentionnés (respectivement 1 005 et 844 fois) dans les médias, juste derrière Emmanuel Macron (2 014 fois).
La personnalité de gauche la plus mentionnée, Jean-Luc Mélenchon, n’arrive, quant à elle, qu’en sixième place, malgré une cabale orchestrée contre le Nouveau Front populaire.
Au-delà de ce déséquilibre, « il y a une séparation des publics en fonction des choix de vote, estime Céline Ségur. Traditionnellement, les titres de presse ont des lignes éditoriales assez marquées, ce qui est moins le cas pour la télévision, car la plupart des chaînes ne diffusent pas uniquement de l’information ».
Dominique Pinsolle, historien à l’université de Bordeaux Montaigne et plume régulière du Monde diplomatique, y décèle, lui, une réalité structurelle : « Chaque fois qu’il y a un moment de tension politique dans l’histoire contemporaine, les médias se mettent à défendre plus ouvertement les intérêts de leurs patrons. » L’auteur de À bas la presse bourgeoise ! (éditions Agone) ajoute : « Les grands médias ont des biais politiques sur n’importe quel sujet. Ils n’apparaissent juste pas systématiquement au grand jour. »
La dernière séquence politique fait figure d’exception. « L’annonce de la volonté du RN de privatiser France Télévisions a forcément eu un impact sur les rédactions, estime Pierre Mouchel. On a vu la chute en Bourse de TF1. »
La suite des événements se révélera déterminante pour le secteur télévisuel, alors que le Nouveau Front populaire est sorti en tête du second tour des législatives, que le groupe Bolloré (CNews, C8, Canal Plus) amplifie sa propagande d’extrême droite et que, parallèlement, l’Arcom auditionne depuis lundi les candidats à l’un des quinze canaux de la TNT.
18:54 Publié dans Actualités, Informations, Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télévision, bardella | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
04/07/2024
Pour faire gagner le Front populaire, la lutte emprunte le chemin des ondes
Alors que la presse joue depuis la Révolution un rôle important dans le débat politique, la gauche mise, au mitan des années 1930, sur la radio pour contrer la propagande sur papier de l’extrême droite. En partenariat avec la fondation Gabriel Peri. (Article publié par l'Humanité)
Dans toute l’Europe, l’histoire politique de l’entre-deux-guerres est intimement liée à l’histoire des médias. L’usage fait par les fascismes des nouveaux outils de propagande, en Allemagne comme en Italie, est bien connu. En France, le paysage médiatique est, dans les années 1930, en train de basculer : l’influence des journaux papier recule ; c’est désormais la TSF qui forge l’opinion publique. Lors de la campagne des élections législatives de 1936, les partis de Front populaire s’emparent de ce nouvel outil de communication politique.
La IIIe République a inscrit les médias dans son projet démocratique. Le vote de la loi de 1881 sur la liberté de la presse est ainsi motivé par la volonté de reconstituer un espace public virtuel correspondant à l’agora grecque des débuts de la démocratie.
La revanche pendant la Belle Époque
Dans le rapport qu’il présente au Sénat en faveur du vote de cette loi, Eugène Pelletan écrit ainsi : « La presse à bon marché est une promesse tacite de la République au suffrage universel. Ce n’est pas assez que tout citoyen ait le droit de voter. Il importe qu’il ait la conscience de son vote, et comment l’aurait-il si une presse à la portée de tous, du riche comme du pauvre, ne va chercher l’électeur jusque dans le dernier village ? »
De fait, pendant la Belle Époque, de grands quotidiens populaires sont devenus des médias de masse. Ils sont facilement distribués à une population de plus en plus concentrée dans les villes, et désormais largement alphabétisée. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’habitude de lire le journal est prise dans toutes les familles françaises ; le Petit Journal ou le Matin, en entretenant le mythe de la revanche ou en racontant la diversité de l’empire français d’Afrique, participent à la diffusion de la culture politique de la IIIe République.
La perte de confiance dans les médias de masse
La Première Guerre mondiale est une déflagration dans ce paysage. Dès les débuts du conflit, les grands quotidiens populaires participent au bourrage de crâne orchestré par l’armée française. Ils perdent ainsi la confiance du public. Le nouveau paysage médiatique de l’entre-deux-guerres fait une plus grande place aux journaux régionaux, qui assurent une information de proximité, et, surtout, à une presse très politisée.
C’est de là que viennent les plus importantes innovations de la période, comme les hebdomadaires politiques et culturels (Vendredi, Gringoire, Je suis partout ou Marianne). Dans ces publications, les dessinateurs sont de véritables éditorialistes ; à droite de l’échiquier politique, les dessins de Sennep participent de la brutalisation des discours médiatiques en soutenant les projets antisémites, xénophobes, anticommunistes et homophobes de Candide.
Alors que les quotidiens populaires de l’entre-deux-guerres avaient choisi de se tenir éloignés de la vie politique partisane, les hebdomadaires des années 1930 relaient la violence de la montée des fascismes, qui s’incarne dans les manifestations du 6 février 1934.
Dans ce climat hostile, la stratégie médiatique du Front populaire en général et de Léon Blum en particulier a été de miser sur un nouveau média : la radio. Nouvelle technologie développée à la faveur de la Première Guerre mondiale, la télégraphie sans fil (TSF) propose des programmes à destination du grand public depuis le milieu des années 1920.
En 1936, elle est devenue un média de masse. Le poste de TSF est un meuble trônant au milieu du salon de nombreuses familles françaises ; on le retrouve aussi dans les cafés, où il permet de suivre l’actualité sportive. L’écoute est donc collective, ce qui favorise les échanges d’opinion. À partir de cette période, les quotidiens cessent de publier une « édition spéciale » en cas d’événement au cours de la journée. C’est par la radio que les Français apprennent l’arrivée au pouvoir d’Hitler ou les débuts de la guerre civile espagnole.
En Allemagne, la possession d’un poste de radio devient obligatoire ; une grande partie de la propagande passe par les ondes. En France, la TSF est intégrée au projet démocratique. Pour la première fois en 1936, les partis disposent d’un temps de parole sur les ondes radio dans le cadre de la campagne officielle des législatives. La voix de Léon Blum participe dans ce cadre à la mobilisation des électeurs, et le Front populaire remporte sans doute la première « guerre des ondes », pour reprendre l’expression utilisée par Hélène Eck pour caractériser la Seconde Guerre mondiale.
Claire Blandin
Historienne
19:49 Publié dans Actualités, Informations, Radio | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : radio, 1936 | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |