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02/10/2019

Presse. Carnage social chez Reworld

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Après un an de rebondissements, les carnassiers de Reworld Media sont parvenus à leurs fins : les deux tiers des journalistes ont quitté ce qui était le plus gros groupe de presse magazine du pays, Mondadori France.

À Grazia, il ne reste plus qu’une journaliste. À Pleine Vie, quinze journalistes partent, un seul reste. À Nous Deux, c’est bien simple : il n’y a plus personne pour faire le journal. Avant-hier soir, 194 des 330 journalistes qui composaient le groupe sont partis, ainsi que 74 des 200 pigistes. Soit 60 % des effectifs de ce qui a constitué, pendant dix ans, le groupe de presse magazine le plus important de France, Mondadori.

Un groupe qui détenait, jusqu’en juillet, des titres comme Sciences & Vie, Sciences et Avenir, Télé Poche, Biba, Top Santé, Closer. Et qu’on se le dise : la presse, le papier, la liberté d’expression ne sont pas les chevaux de bataille des deux cofondateurs de Reworld Media, Pascal Chevalier et Gautier Normand. Non. Eux, ce qui les intéresse, c’est le cash. Le flouze. Le fric, quoi. Le contenu ? On s’en balance ! Les journalistes ? On s’en fout, puisqu’il n’est pas plus question de journalistes que de journaux. Mais, ainsi que les deux hommes l’ont fait ailleurs, en particulier dans des titres de Lagardère rachetés par leurs soins, il s’agit de rentabiliser des « marques » par des « chargés de contenu ».

Isolés, en contrat précaire, voire en autoentrepreneuriat. D’ailleurs, il est déjà question, révélait le Monde hier, de sous-traiter Biba ou Top Santé à une boîte spécialisée. Plus de rédaction dédiée, donc, seulement des coquilles vides. Dans ce cadre, pour eux, la clause de cession, ce dispositif inventé pour que dans un titre de presse le journaliste n’ait pas à écrire contre ses convictions, en cas de changement de propriétaire, est une bénédiction : elle leur permet de se débarrasser de deux tiers des journalistes.

Le double langage de Mondadori entre salariés et repreneurs

Et cette cession, dans sa forme comme sur le fond, crée pour toute la filière un précédent inquiétant. D’autant qu’elle a eu lieu devant des pouvoirs publics et un ministre, qui n’ont quasiment pas bougé un cil.

Tout a commencé en octobre de l’an dernier, quand Mondadori, dont la famille Berlusconi est l’un des principaux actionnaires, a décidé de se séparer de ses pôles magazines, en France, puis en Italie, pour se recentrer sur son « cœur d’activité », l’édition. Jusque-là, rien d’anormal. Sauf que, pendant que la direction de Mondadori entrait en négociations avec Reworld, elle tenait aux salariés un discours apaisant. Qui n’avait aucune raison de ne pas être entendu, dans la mesure où, comme l’explique Dominique Carlier, du SNJ-CGT, « Mondadori était une entreprise très solide, et même rentable, bien qu’elle souffrît d’un manque d’investissements depuis dix ans ».

Stupeur, donc, des salariés, quand ils apprennent qu’ils sont jetés en pâture aux tontons flingueurs de la presse, à Reworld Media, pour 50 à 80 millions d’euros. Les salariés ont protesté, manifesté, été reçus par le ministre de la Culture, ont même traîné Mondadori devant les tribunaux. La dernière décision de justice date d’ailleurs du 11 juillet : le tribunal administratif de Nanterre demandait aux deux groupes de surseoir à la cession, de plusieurs mois, pour informer les salariés, et parler des conditions de la clause de cession. Mondadori et Reworld se sont carrément assis sur cette décision, puisque les 70 millions de la transaction, dont 50 millions en cash, étaient versés la semaine suivant la décision du tribunal.

Et pourquoi se gêner, d’ailleurs ? À ce jour, Pascal Chevalier et Gautier Normand n’ont toujours pas parlé de leur vision stratégique pour le groupe. Mieux, raconte Dominique Carlier : « Ils ont donné deux mois aux salariés pour se décider pour la clause de cession.

Deux mois à compter du 1er août. Alors que ces questions de durée sont complètement illégales, puisqu’on peut exercer cette clause même longtemps après la cession. » Par exemple, pour les magazines de Lagardère revendus à Kretinsky, la clause a duré un an. « Et elle n’est même pas fermée », reprend Dominique Carlier. Ce qui permet quand même de voir venir. Il s’emporte : « Ces gens sont des apprentis sorciers. Ils ne veulent pas causer avec les représentants syndicaux, en bons startuppers » qu’ils sont. Et ils s’apprêtent donc à remplacer un plan de licenciement par une clause de cession : dans le premier cas, on vire.

Dans le second cas, on est censé remplacer les partants. Or là… ils ont annoncé cinq embauches la semaine dernière. Cinq embauches ! « Sur 194 + 74 départs, c’est peu, pour Vincent Lanier, le secrétaire national du SNJ. Il y a chez eux une volonté de faire table rase. C’est l’ubérisation de la presse qui est en cours. »

L’impact de la mort des titres va se répercuter sur toute la filière

Et le ministère ? Il vaque. Il recevra aujourd’hui les salariés. Une fois le ménage fait. Après s’être lavé les mains de toute cette histoire, « en se basant sur le fait que c’est une cession entre deux groupes privés », explique Vincent Lanier. « Et alors que l’impact de la mort des titres du groupe, parce que c’est bien de cela qu’il est question, risque d’impacter absolument toute la filière, des journalistes aux kiosques en passant par les imprimeries, vu que Reworld est désormais le premier possesseur de magazines du pays. Riester a jeté aux ordures la presse magazine », lâche presque dans un cri Dominique Carlier. L’État donne des aides à la presse et est censé s’occuper des questions de pluralisme. « Cette situation fragilise toute la filière… et il ne fait rien ? »  s’interroge Vincent Lanier. Chut ! La presse meurt, il ne faudrait pas déranger le ministre.

12:36 Publié dans Actualités, Journal, Journaliste, Shopping | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reworld, presse | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |