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04/07/2024

Pour faire gagner le Front populaire, la lutte emprunte le chemin des ondes

Radio 1936.jpg

Alors que la presse joue depuis la Révolution un rôle important dans le débat politique, la gauche mise, au mitan des années 1930, sur la radio pour contrer la propagande sur papier de l’extrême droite. En partenariat avec la fondation Gabriel Peri. (Article publié par l'Humanité)

Dans toute l’Europe, l’histoire politique de l’entre-deux-guerres est intimement liée à l’histoire des médias. L’usage fait par les fascismes des nouveaux outils de propagande, en Allemagne comme en Italie, est bien connu. En France, le paysage médiatique est, dans les années 1930, en train de basculer : l’influence des journaux papier recule ; c’est désormais la TSF qui forge l’opinion publique. Lors de la campagne des élections législatives de 1936, les partis de Front populaire s’emparent de ce nouvel outil de communication politique.

La IIIe République a inscrit les médias dans son projet démocratique. Le vote de la loi de 1881 sur la liberté de la presse est ainsi motivé par la volonté de reconstituer un espace public virtuel correspondant à l’agora grecque des débuts de la démocratie.

La revanche pendant la Belle Époque

Dans le rapport qu’il présente au Sénat en faveur du vote de cette loi, Eugène Pelletan écrit ainsi : « La presse à bon marché est une promesse tacite de la République au suffrage universel. Ce n’est pas assez que tout citoyen ait le droit de voter. Il importe qu’il ait la conscience de son vote, et comment l’aurait-il si une presse à la portée de tous, du riche comme du pauvre, ne va chercher l’électeur jusque dans le dernier village ? »

De fait, pendant la Belle Époque, de grands quotidiens populaires sont devenus des médias de masse. Ils sont facilement distribués à une population de plus en plus concentrée dans les villes, et désormais largement alphabétisée. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’habitude de lire le journal est prise dans toutes les familles françaises ; le Petit Journal ou le Matin, en entretenant le mythe de la revanche ou en racontant la diversité de l’empire français d’Afrique, participent à la diffusion de la culture politique de la IIIe République.

La perte de confiance dans les médias de masse

La Première Guerre mondiale est une déflagration dans ce paysage. Dès les débuts du conflit, les grands quotidiens populaires participent au bourrage de crâne orchestré par l’armée française. Ils perdent ainsi la confiance du public. Le nouveau paysage médiatique de l’entre-deux-guerres fait une plus grande place aux journaux régionaux, qui assurent une information de proximité, et, surtout, à une presse très politisée.

C’est de là que viennent les plus importantes innovations de la période, comme les hebdomadaires politiques et culturels (Vendredi, Gringoire, Je suis partout ou Marianne). Dans ces publications, les dessinateurs sont de véritables éditorialistes ; à droite de l’échiquier politique, les dessins de Sennep participent de la brutalisation des discours médiatiques en soutenant les projets antisémites, xénophobes, anticommunistes et homophobes de Candide.

Alors que les quotidiens populaires de l’entre-deux-guerres avaient choisi de se tenir éloignés de la vie politique partisane, les hebdomadaires des années 1930 relaient la violence de la montée des fascismes, qui s’incarne dans les manifestations du 6 février 1934.

Radio Leon Blum.jpgDans ce climat hostile, la stratégie médiatique du Front populaire en général et de Léon Blum en particulier a été de miser sur un nouveau média : la radio. Nouvelle technologie développée à la faveur de la Première Guerre mondiale, la télégraphie sans fil (TSF) propose des programmes à destination du grand public depuis le milieu des années 1920.

En 1936, elle est devenue un média de masse. Le poste de TSF est un meuble trônant au milieu du salon de nombreuses familles françaises ; on le retrouve aussi dans les cafés, où il permet de suivre l’actualité sportive. L’écoute est donc collective, ce qui favorise les échanges d’opinion. À partir de cette période, les quotidiens cessent de publier une « édition spéciale » en cas d’événement au cours de la journée. C’est par la radio que les Français apprennent l’arrivée au pouvoir d’Hitler ou les débuts de la guerre civile espagnole.

En Allemagne, la possession d’un poste de radio devient obligatoire ; une grande partie de la propagande passe par les ondes. En France, la TSF est intégrée au projet démocratique. Pour la première fois en 1936, les partis disposent d’un temps de parole sur les ondes radio dans le cadre de la campagne officielle des législatives. La voix de Léon Blum participe dans ce cadre à la mobilisation des électeurs, et le Front populaire remporte sans doute la première « guerre des ondes », pour reprendre l’expression utilisée par Hélène Eck pour caractériser la Seconde Guerre mondiale.

Claire Blandin

Historienne

19:49 Publié dans Actualités, Informations, Radio | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : radio, 1936 | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |

29/05/2013

Le printemps des chroniqueurs économiques

bfm.jpgpar Mathias Reymond, Acrimed, le 29 mai 2013

Comme nous le soulignions déjà en décembre 2012, les chroniqueurs économiques des grands médias audiovisuels sont interchangeables [1] : ils partagent les mêmes points de vue sur « l’urgence des réformes » (forcément libérales), sur « le rôle de l’État » (forcément trop gourmand), sur « l’Allemagne » (forcément paradisiaque) et sur « la mondialisation » (forcément heureuse). Les crises à répétition, les défaillances d’un système économique et financier qui s’essoufle, l’échec des politiques d’austérité n’y font rien : les mêmes – toujours les mêmes – continuent de pérorer sans plier. Pendant que le printemps se fait attendre, les chroniqueurs économiques, eux, se font entendre…

Les médias de masse (radio et télévision) ne sont pas censés jouer le rôle de prescription que joue la presse écrite qui est aussi souvent une presse d’opinion. Pourtant, dès qu’il est question d’économie, le journalisme devient commentaire. Et l’éditorialiste se transforme en partisan. Partisan de l’économie de marché, de l’économie déréglementée et de l’Europe libérale…

Les réformes, toujours...

Comme toujours, le dénominateur commun des chroniqueurs économiques est l’enthousiasme effréné pour les réformes qui se traduisent toujours par moins d’État et plus de marché. Ainsi, sur Europe 1, Éric Le Boucher donne le « la » en faisant état des chantiers qui attendent la France pour les années à venir :« réforme des retraites, baisse des dépenses de santé, recul des crédits aux collectivités locales et surtout plus de réformes structurelles pour la compétitivité. » (6 mai 2013)

Pour relancer l’économie française, Nicolas Doze sur BFMTV suggère naturellement de « réduire les prélèvements obligatoires. » Et prévient : « ce n’est plus possible de reculer sur les trois réformes attendues et exigées par le reste de l’Europe : réforme sur le marché du travail et sa rigidité ; réforme sur les retraites ; réforme de la libéralisation des professions qui sont encore sous numerus clausus. » (15 mai) La partition est exactement la même sur la chaîne concurrente I-Télé où Jérôme Libeskind préconise donc « de dépenser moins, de taxer moins. » (17 avril) Original...

Même son de cloche sur les autres radios généralistes. Le chroniqueur matinal de France Inter, Dominique Seux, s’inquiète d’un risque d’overdose de la France : « les dépenses publiques, si rien n’est fait, seront en 2014, pour la première fois, les plus élevées des 27 pays européens, au-dessus du Danemark, à plus de 57% du PIB. À ce niveau, ce n’est plus de l’aspirine, c’est de la morphine, c’est-à-dire une drogue. » (6 mai) Et sur RTL, Christian Menanteau pratique un copier-coller exemplaire : « Il va falloir apprendre à gérer sobrement, reformer les prestations sociales, les retraites, les allocations chômage et ça va être d’autant plus indispensable que la corde de rappel allemande ne va pas disparaître. » (6 mai)

On l’aura compris, les réformes libérales sont plus que nécessaire pour tendre vers le modèle allemand.

L’Allemagne, encore...

La rigueur allemande est régulièrement donnée en exemple par les commentateurs de l’économie. Sur Europe 1, Axel de Tarlé incite François Hollande à suivre l’exemple de Gerhard Schröder - « on va voir maintenant si François Hollande aura le même courage » (24 mai) dit-il – en le conseillant sur les réformes à faire dans le cadre de l’assurance-chômage : « Gerhard Schröder en 2005 a réduit de moitié l’indemnisation du chômage à un an contre deux ans en France. Résultat : en Allemagne les entreprises payent deux fois moins de cotisations donc oui elles sont plus fortes et oui les entreprises créent plus d’emplois. Franchement, au point où il en est, François Hollande a tout intérêt maintenant à suivre cette voie qui a fait ses preuves. »

Des preuves qui ne seront nullement contestées par Éric le Boucher : « On peut les soupçonner [les socialistes qui critiquent l’Allemagne] de vouloir, comme leur aile gauche, un abandon de la rigueur au profit d’un retour à la politique menée depuis trente ans d’un nouvel endettement national ou européen. » (29 avril) Mais, ajoute-t-il, « le parti au pouvoir entretient les illusions d’hier : relance des dépenses publiques et attente de la sortie de crise par les autres – par les Allemands, par l’Europe, par l’extérieur. Mais hélas, les problèmes de la France sont français, ils ne sont pas allemands, la compétitivité ne viendra des réformes qu’en France pas en Allemagne. » (29 avril)

Pour que la sauce de la relance prenne, un subtil mélange s’impose : moins d’État, plus d’Allemagne et surtout un blanc-seing pour le patronat.

Les patrons, évidemment...

Le candidat François Hollande voulait encadrer les salaires des grands patrons, mais le gouvernement Ayrault est revenu à la raison : le patrons ne seront pas accablés. Le chœur des chroniqueurs pousse un « ouf ! » de soulagement.

Sur I-télé, Jérôme Libeskind prend la défense des chefs d’entreprise car le moment de les incommoder est mal choisi : « Si le gouvernement avait décidé en plus de légiférer sur la rémunération des patrons, et bien, il aurait à nouveau brouillé ses relations avec les entreprises et leurs dirigeants, et ce n’est pas franchement le moment. » (24 mai) Son collègue de BFMTV, Nicolas Doze – qui avait flairé avec ce projet l’entrée des chars soviétiques dans Paris – approuve le renoncement de Pierre Moscovici : « Passer par la loi sur ce sujet, ça n’a aucun sens. Contrôler les prix, contrôler les salaires, c’est complètement fossilisé comme politique. (…) » (27 mai) Cela aurait été « une loi complètement anachronique. »

Derrière toutes ces analyses, il n’y aurait pas d’idéologie. Tout cela résulterait du bon sens et ne serait teinté d’aucune arrière-pensée politique. Que dire alors quand Axel de Tarlé fait sa chronique sur « l’explosion abusive des arrêts maladie en dix ans » (25 avril). Pour lui cela ne fait pas de doute : il y a de « l’abus ». Pourquoi serions-nous plus malade aujourd’hui qu’il y a dix ans ? » s’interroge-t-il, avant d’insister : « Il y a de l’abus partout, y compris dans le privé ! ». Mais si de Tarlé s’était donné la peine de lire l’ensemble du rapport qu’il cite, il aurait vu que la population active vieillit, que le temps de travail s’allonge et qu’entre « 2008 et 2011, les salariés de plus de 50 ans ayant bénéficié d’un arrêt-maladie ont augmenté de 8,5 %, soit un rythme plus soutenu que celui du nombre total d’arrêts (+1,4 %) » [2]. De plus, « la durée des absences s’accroît avec l’âge : en moyenne, elle est 3,5 fois plus importante pour les salariés de plus de 60 ans que pour ceux de 30 ans.  » [3].

Que penser également de la chronique de Bruce de Galzain « l’éco du jour », sur France Inter, qui prend le parti du libéralisme, le vrai. En effet, il salue la sortie d’un livre de Daniel Tourre (membre du parti Alternative libérale) qui veut combattre les clichés du libéralisme en France : « L’ouvrage est documenté, abordable, drôle ; pas prosélyte, didactique ! Et lorsque l’on demande à Daniel Tourre pourquoi le libéralisme est tant décrié en France, il prend sa part de responsabilité : il y a bien sûr l’omnipotence de l’État-nounou selon lui, la religion de l’État-Dieu qui ne laisse pas beaucoup de place (…) » (10 mai)

***

Toutes ces chroniques sont construites sur le même modèle : plutôt que d’informer sur l’état de l’économie ou du débat économique, leurs auteurs, pourtant journalistes de profession, se contentent, semaine après semaine, de faire valoir leur opinions tout en se faisant juges et prescripteurs des politiques économiques nécessaires à la France.

Et dès lors que tous ces chroniqueurs professent, à quelques nuances infimes près, le même libéralisme échevelé, six semaines (seulement) de leurs élucubrations dans les médias dominants se résument à un seul et même petit refrain, monotone et entêtant, celui du marché… Et tant pis pour l’objectivité journalistique, le pluralisme médiatique et le débat démocratique !

Mathias Reymond

Notes

[1] Lire « Le chœurs des chroniqueurs économiques des ondes.

[2] Le Monde, 25 avril 2013.

[3] Ibid.