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17/12/2019

Grève des transports : France 2 n’est jamais fatiguée des usagers fatigués

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Tous les soirs à 20 heures, France 2 documente la fatigue et l’inquiétude des usagers des transports et des trottoirs. Sur BFMTV, on continue de considérer que “les Français” ne sont pas concernés par la réforme des retraites, seulement par les fêtes de fin d’année.

« A la une, neuvième jour de grève, le gros coup de fatigue des usagers », déplore Laurent Delahousse vendredi. Le 20 heures de France 2, lui, n’est pas fatigué de réaliser chaque jour les mêmes reportages sur la fatigue des usagers. « Les usagers, notamment en Ile-de-France, développe le présentateur, commencent à montrer des signes de grosse fatigue. » Certains s’endorment même devant le JT. « Les annonces d’aucune trêve durant les fêtes de Noël par certains syndicats fragilisent encore la situation. » Euh… pardon ? Les annonces fatiguent les usagers par anticipation ? Le pouvoir de nuisance des syndicats est proprement surnaturel.

« Ce soir, décrit la reporter, la scène se répète. » Comme tous les soirs au JT. « Bousculade et panique pour entrer dans le RER. Comme dans une fourmilière. » Et comme tous les soirs au JT. « Ce matin, pour accéder aux quais du métro bondé, il fallait attendre son tour. Les nerfs de certains lâchent. » « La grève, pourquoi ?! Les bâtards ! », hurle le voyageur d’une vidéo amateur. « Pour d’autres, c’est l’épuisement. » Paroles d’usagers : « Tout le monde est fatigué, tout le monde galère. » « On est au bout du rouleau. On a envie de faire un arrêt de travail. »

« Transports en commun saturés, embouteillages permanents…, gémit la journaliste. Pour ceux qui arrivent au bureau, c’est aussi l’épuisement. » Euh… pardon ? Ceux qui sont épuisés par le trajet jusqu’au boulot sont aussi épuisés au bureau ? C’est incompréhensible. Normalement, le seul fait de se mettre au service de son employeur suffit à gommer toute fatigue. « Pour cette directrice des ressources humaines, il faut revoir toute l’organisation. » Pour toute directrice des ressources humaines, les salariés sont des « collaborateurs » : « Les collaborateurs rentrent plus tôt, partent plus tard. » Il faudrait savoir. « Et il y a aussi la fatigue morale. » Les « collaborateurs » sont morts d’inquiétude à l’idée que les syndicats pourraient les priver d’une réforme qui ne fera que des gagnants.

« Des salariés assommés, épuisés », insiste la journaliste de France 2, qui s’épuise à répéter le mot « épuisé ». « Ils sont désormais de plus en plus nombreux à poser des arrêts maladie. » Euh… pardon ? Sur France 2, on « pose » des arrêts maladie ? Même pas besoin de consulter un médecin ? « C’est ce que remarque ce médecin depuis quelques jours. » Je ne comprends plus. « J’ai constaté des patients fatigués, exténués par les transports, les 600 kilomètres de bouchons… » Si ses patients parcourent 600 kilomètres de bouchons par jour, je comprends qu’ils soient exténués. « Ils sont venus me solliciter pour demander soit des vitamines, soit des arrêts de travail. » Qu’ils pourront ensuite « poser » à leur guise.

« Malgré la fin de la semaine, le week-end est loin de s’annoncer de tout repos, désespère la reporter. En pleines courses de Noël, la situation dans les transports restera compliquée. » Les consommateurs épuisés poseront-ils des arrêts maladie pour échapper aux courses de Noël ?

« Une séquence de bras de fer social qui pousse de nombreuses personnes à s’élancer à pied pour rejoindre leur travail, reprend Laurent Delahousse. Un itinéraire que nous avons effectué aujourd’hui à Paris aux côtés de plusieurs salariés. » Euh… pardon ? Un itinéraire de bras de fer à pied ? Le reportage est titré « Grève des transports : à marche forcée » — à défaut de « marche ou crève ».

« Voilà un moyen de transport sur lequel on peut compter : ses pieds, assure la reporter. Ce matin, ils étaient nombreux à arpenter pour aller travailler. » Pour l’occasion, arpenter est devenu un verbe intransitif. « Les moins sportifs battent des records. » Une marcheuse montre une application sur son téléphone : « Pour mercredi, 11 442 pas. » « Ah tout de même ! », s’exclame la journaliste. Rappelons que la moyenne conseillée par les autorités de santé est de 10 000 pas par jour. « Pour jeudi, ça indique 9,3 kilomètres. » « 9 kilomètres à pied, c’est ce que vous faites d’habitude ? » « Non, pas du tout. Mais ça va faire grand plaisir à mon médecin généraliste quand je vais lui dire. » Ce ne doit pas être le médecin du reportage précédent.

« Une séance de sport dont se serait bien passé ce jeune homme qui travaille de nuit dans la restauration. » « J’en ai pour trente minutes alors que j’en ai pour cinq minutes en RER donc ça me fatigue. » Trente minutes de marche ? Un calvaire. « Nous accompagnons Julie, elle s’apprête à marcher quarante-cinq minutes… Et gare aux embouteillages de trottoir. » Avec 1 450 kilomètres, le record des bouchons de trottoir a d’ailleurs été battu la semaine dernière à Paris. « La journée sera longue, conclut la reporter. Alors, une fois arrivés au travail, ceux qui se sont équipés pour utiliser leurs pieds doivent savoir aussi les récompenser. » La voici qui enfile des pantoufles.

Ça me fait tout drôle de voir réapparaître Laurent Delahousse en sachant désormais qu’il porte des pantoufles sous la table du 20 heures. « Jean-Pierre Farandou, le nouveau pdg de la SNCF, demande aux grévistes de faire un pause durant les fêtes. » Et de reporter leur grève après l’adoption de la réforme.

Le 20 heures consent tout de même un reportage dans les familles de deux grévistes de la SNCF pour documenter leurs propres sacrifices. Puis Laurent Delahousse évoque la réforme elle-même. « L’un des reproches fait à l’exécutif concerne le flou, l’absence de pédagogie qui entoure cette réforme complexe. » Avec un peu de pédagogie, les grévistes reprendraient immédiatement le travail. « La valeur du point de ce système par points mérite bien justement un petit point. » Le présentateur ne lésine point sur les points.

Ça me fait tout drôle de voir réapparaître Laurent Delahousse en sachant désormais qu’il porte des pantoufles sous la table du 20 heures. « Jean-Pierre Farandou, le nouveau pdg de la SNCF, demande aux grévistes de faire un pause durant les fêtes. » Et de reporter leur grève après l’adoption de la réforme.

Le 20 heures consent tout de même un reportage dans les familles de deux grévistes de la SNCF pour documenter leurs propres sacrifices. Puis Laurent Delahousse évoque la réforme elle-même. « L’un des reproches fait à l’exécutif concerne le flou, l’absence de pédagogie qui entoure cette réforme complexe. » Avec un peu de pédagogie, les grévistes reprendraient immédiatement le travail. « La valeur du point de ce système par points mérite bien justement un petit point. » Le présentateur ne lésine point sur les points.

« À la une ce soir, récidive Laurent Delahousse le lendemain, la grève ou la trêve pour les fêtes de Noël ? » Le titre questionne : « Grève, y aura-t-il des trains à Noël ? » Curieusement, il ne demande pas s’il y aura toujours une réforme des retraire à Noël. « Une incertitude qui inquiète les usagers, les commerçants et qui pèse sur le gouvernement. » Mais pas sur les grévistes, qui ne fêtent pas Noël.

« On commence par des images qui suscitent depuis quelques heures beaucoup de réactions et d’indignation, propose Laurent Delahousse. Que s’est-il passé à Saint-Ouen, dans l’enceinte du stade du Red Star ? L’ex-championne du monde de natation et vice-championne olympique devenue ministre, Roxana Maracineanu, assistait à la rencontre de football à titre privé. Un attroupement se forme, les insultes pleuvent, la forçant à quitter le stade. » « Tout dérape », témoigne le reporter. A mon avis, la ministre a été victime d’usagers excédés et fatigués de devoir aller jusqu’au stade à pied.

Laurent Delahousse travaille sa transition : « Une affaire qui résonne dans un contexte de colère et de questionnement sur l’avenir et l’impact du conflit des retraites. » La colère et le questionnement des usagers, bien sûr, mais pas seulement : « C’est un scénario que les commerçants redoutaient qui se dessine depuis quarante-huit heures. » Pauvres commerçants, principaux bénéficiaires de la compassion de France 2 qui leur consacre de nombreux sujets mais néglige les travailleurs précaires et sous-payés des lointaines banlieues dont le salaire sera amputé des heures de travail manquées, comme le notait Arrêt sur images. « Moins 30 % de fréquentation dans les magasins, rapporte une journaliste. Le représentant des petits commerçants tire la sonnette d’alarme. » Pour pouvoir la tirer, il a au moins réussi à monter dans un train ou un métro.

« À huit jours des vacances, reprend Laurent Delahousse, le bras de fer se durcit entre gouvernement et syndicats sur la question d’une potentielle trêve de Noël. Entre les deux, les usagers eux voient l’échéance arriver avec inquiétude. » Paroles d’usagers aussi inquiets que fatigués (d’être inquiets). « Hier, dans une vidéo interne, le nouveau patron de la SNCF a lancé un appel aux grévistes. » Pour leur demander de repousser leur grève après l’adoption de la réforme.

« Autre secteur économique qui suit de près la situation, alerte Laurent Delahousse, c’est celui du tourisme et particulièrement celui des stations de sports d’hiver. » Un secteur qui passionne aussi intensément les JT autant qu’il concerne une infime minorité de Français (seulement 7 % d’entre eux partent en vacances d’hiver au moins un an sur deux). « Elles jouent gros et justement les perturbations sur le trafic ferroviaire sont le socle des réservations. » Euh… pardon ? Les perturbations du trafic ferroviaire sont le socle des réservations ? Pourvu qu’il y ait beaucoup de perturbations afin d’assurer un bon niveau de réservations. À La Plagne, le reporter interroge notamment de pauvres propriétaires de logements et un modeste couple qui a réussi à parvenir jusqu’à la station mais qui ne sait s’il pourra en repartir.

Le dimanche soir, c’est au tour du présentateur de BFMTV Gilane Barret de proposer : « Parlons de la vie des Français. » Mais pas de n’importe quels Français « C’est une nouvelle semaine très compliquée qui s’ouvre pour les Français. » Rappelons que les grévistes, les manifestants et les personnes concernées par la réforme des retraites ne sont pas français. « La paralysie dans les transports se poursuit. Les Français déjà fatigués et même énervés vont devoir faire avec. » La parole est aux Français fatigués et énervés.

« Question pratique, que peut faire un gouvernement face à une telle grève pendant les fêtes ?, interroge Gilane Barret. Est-ce qu’il peut aller plus loin dans des réquisitions ? » Envoyer l’armée pour mettre les conducteurs dans leurs trains ? « Est-ce qu’il en fait assez pour assurer les meilleures fêtes possibles aux Français ? » Rappelons que, n’étant pas français, les grévistes, les manifestants et les personnes concernées par la réforme des retraites ne fêtent pas Noël.

Michel Sapin, un invité de saison, répond : « Si le gouvernement avait voulu éviter ce problème au moment des fêtes, il ne fallait pas faire une annonce qui était une agression pour la totalité de syndicats juste avant les fêtes. » « Donc, erreur de timing, déduit Gilane Barret. Il fallait faire ça en janvier ? » Ou, mieux, le 3 août. « Est-ce qu’il faut faire une trêve de cette grève… ou bien une trêve de la réforme jusqu’en janvier ? » « Laurent Berger a la bonne attitude, juge Michel Sapin. Il dit que son objectif n’est pas d’embêter les gens à Noël. » Il a même réclamé ce lundi matin une trêve pour les fêtes (comme le gouvernement). Et assuré qu’il désirait continuer à travailler avec Jean-Paul Delevoye (comme le gouvernement)… quelques heures avant que le haut-commissaire démissionne.

Michel Sapin, comme Laurent Berger, milite pour la suppression de « cette histoire de l’âge pivot ». « La CGT voudra quand même continuer », désespère Gilane Barret. Et de conclure : « Ne manquez pas mardi notre émission spéciale sur BFMTV : “La grève, jusqu’à quand ?” Bonne question. » On ne se lasse pas de la poser. Le titre de la précédente émission spéciale de BFMTV, mercredi dernier, était « Grève, stop ou encore ? » Curieusement, la chaîne ne titre jamais « Réforme de retraites, stop ou encore ? » ni « Réforme des retraites, jusqu’à quand ? »

La pub déboule. Message de prévention du gouvernement : « Dans la vie, il y a des moments qui comptent plus que d’autres. (…) Des moments où l’on décide d’être son propre patron. (…) On a tous une bonne raison de faire le test du VIH et des infections sexuellement transmissibles. » Se faire dépister parce qu’on crée son entreprise ? Je ne vois pas bien le rapport. Jusqu’où va se nicher le mythe de la start-up nation dans laquelle chacun est entrepreneur de soi-même — et de sa retraite…

Sources Samuel Gontier Télérama

20/03/2019

Les chaînes télé déroulent le tapis rouge devant Marine Le Pen

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Depuis le début de l’année, les représentants du Rassemblement national (RN) se bousculent aux portillons des chaînes d’information en continu. Sur la période allant du 1er janvier au 17 mars 2019, on ne dénombre pas moins de 161 invitations sur BFM-TV, Cnews, France Info ou LCI, soit plus de deux apparitions par jour en moyenne.

A elles seules, BFM-TV et CNews comptent pour 131 invitations. Cette omniprésence des représentants du parti d’extrême-droite s’accompagne d’un traitement médiatique tout en complaisance à l’égard de Marine Le Pen. À longueur d’émissions spéciales sur « la dynastie Le Pen », d’interviews bienveillantes, de commentaires élogieux, la présidente du Rassemblent national (RN) bénéficie d’une couverture d’une complaisance sans égale. Retour sur cette édifiante séquence de promotion médiatique.

Dès la mi-janvier, BFM-TV célébrait en fanfare la rentrée politique de Marine Le Pen avec une émission spéciale, promue à grands renforts de bandes-annonces. Au programme, « une grande enquête » sur « un feuilleton politico-familial qui passionne les Français depuis plus d’un demi-siècle, la dynastie Le Pen », avec « des secrets, des pardons et des trahisons ». Bref on l’a compris, rien ne sera épargné aux téléspectateurs, dans ce que Samuel Gontier décrit comme une « entreprise de dépolitisation parfaitement menée, à force d’anecdotes insignifiantes et d’exégèses psychologisantes [1]. »

Le soir même sur le plateau de BFM-TV, les commentaires donnent le ton : « Il y a ce côté Dallas et Dynastie, les séries américaines », commente ainsi Olivier Beaumont du Parisien. Et d’évoquer « un clan qui s’est toujours invité dans le foyer des Français. » Invité certes, mais par qui ? Pour le présentateur Bruce Toussaint, l’histoire des Le Pen est « une saga incroyable », qui est « à la fois une histoire de famille et un pan de notre histoire politique. » Rien que ça. La diffusion de cette émission spéciale tombe d’ailleurs à point nommé : « Marine Le Pen qu’on disait carbonisée par la dernière élection présidentielle […] est en train de tirer profit de la crise des gilets jaunes ». Une affirmation sans appel, sur la foi de sondages prédisant un score élevé pour le Rassemblement national. Et constituant vraisemblablement une raison suffisante pour dérouler le tapis rouge à sa dirigeante [2].

Une autre séquence s’ouvre le 17 février. Alain Finkielkraut est invité sur BFM-TV par Apolline de Malherbe, en réaction aux insultes proférées la veille à son encontre, en marge d’une manifestation de gilets jaunes. Au cours de cet entretien, il délivre un satisfecit à la présidente du Rassemblement national : « Qui a dénoncé immédiatement les attaques dont j’ai été l’objet ? Marine Le Pen. » Pour lui, le RN ne figure pas parmi « les vrais fauteurs de haine ». D’ailleurs, ce serait « une incroyable paresse de pensée que de revenir sans cesse aux années 1930 et au bon vieux Front national de papa ».

Cette invitation a été l’amorce d’une nouvelle salve de commentaires complaisants à l’égard du Rassemblement national [3]. Sur le plateau de « BFM Story », l’éditorialiste Anna Cabana est catégorique : au lieu de parler d’antisémitisme d’extrême-droite, on ferait mieux de parler d’un antisémitisme d’extrême-gauche. La preuve ? « Quand on discute avec Alain Finkielkraut de ce qui s’est joué pour lui […] il vous parle des zadistes, il vous parle des gauchistes ». On ne peut pas reprocher à Anna Cabanna de ne pas avoir de suite dans les idées : le lendemain, elle invite Marine Le Pen à un entretien chaleureux et complaisant sur i24. L’occasion pour la présidente du RN de pontifier sur l’« antisémitisme islamo-gauchiste » qui serait le « danger le plus flagrant, le plus évident aujourd’hui ».

En mars, c’est LCI qui prend le relais. La chaîne d’information en continu y va, elle aussi, de sa soirée spéciale sur le « renouveau » de la dirigeante du Rassemblement national. Dès le journal de 17h, la présentatrice annonce la couleur : « Elle est jugée volontaire, capable de prendre des décisions et de comprendre les problèmes quotidiens. L’image de Marine Le Pen s’est considérablement améliorée auprès des Français. [4] ». A 18h, David Pujadas annonce quant à lui « un retour en grâce ». Des affirmations à nouveau appuyées à grand renfort de sondages.

Au sommaire de cette soirée, surprise ! Un « grand document » sur « le roman vrai d’une dynastie politique », avec les « confidences et confessions de trois générations Le Pen ». Avec originalité, LCI marche dans les pas de BFM-TV. Pourquoi au juste cette émission spéciale ? Le chef du service politique de TF1 et LCI s’explique : « Parce qu’on est à quelques semaines d’une élection, les européennes, où, selon toute vraisemblance, la formation politique de Marine Le Pen va réaliser un score très important. » La même logique est à l’oeuvre que sur BFM-TV : des sondages annoncent un résultat favorable pour le RN, il est donc urgent de lui ouvrir tous les micros.

Le service public n’est pas en reste. « L’émission politique » du 14 mars sur France 2 constitue le dernier épisode en date de cette séquence de promotion médiatique. Un extrait relayé avant l’émission annonçait déjà la couleur : Thomas Sotto, interrogeant Marine Le Pen… sur son amour pour ses chats. Un échange passionnant qui n’a pas manqué de susciter l’ironie voire l’indignation sur les réseaux sociaux. L’émission est à l’avenant : pendant plus de deux longues heures, Marine Le Pen occupe l’antenne. Le résultat ? C’est Nathalie Saint-Cricq, cheffe du service politique de France 2, qui en parle le mieux dans son debriefing : « globalement, elle est hyper dédiabolisée ». Et en détail, cela donne cette tirade édifiante :

« Moi, je l’ai trouvée assez efficace, j’ai trouvé qu’elle avait travaillé […], qu’elle était dans le constat ce qui lui permet plus facilement d’arrondir les angles. Elle n’est pas contre les riches, elle est pour les pauvres. Elle aime bien les bons gilets jaunes, mais elle défend aussi les policiers. Tout est de la faute du gouvernement. Donc pendant toute la première partie on a eu quelqu’un d’assez consensuel et qui était dans le constat et finalement son constat, on pouvait le partager, et c’était une sorte de constat mainstream . Après les choses se sont un peu plus gâtées avec Nathalie Loiseau et avec Matteo Renzi parce que là, on n’était plus dans le constat on lui demandait des solutions […] et là ça a patiné un petit peu plus mais globalement, elle est hyper dédiabolisée et elle a travaillé et elle n’est plus excessive comme elle pouvait l’être avant, ni pas très professionnelle. »

En résumé donc : une belle séquence d’« hyper dédiabolisation » offerte en direct et à une heure de grande audience par le service public.


***


Depuis janvier, les chaînes d’information en continu font la chronique annoncée du triomphe de Marine Le Pen. Ils décrivent, sur la foi de sondages, tantôt une « résurrection », tantôt une « reconquête » en vue des élections européennes. Emissions spéciales à l’appui, ils évoquent des Français « fascinés » par la famille Le Pen. Tout est bon pour expliquer le succès annoncé de l’extrême-droite. Pour certains commentateurs, les mobilisations de gilets jaunes auraient profité au Rassemblement national – alors même que les obsessions migratoires de Marine Le Pen n’apparaissent pas dans les revendications exprimées par les gilets jaunes.

Cette séquence, qui prend des allures d’auto-hypnose médiatique, a un effet performatif - lorsqu’est annoncée sur tous les tons et registres la « dédiabolisation » du RN. Elle fonctionne également comme une forme de prophétie auto-réalisatrice, en écrivant à l’avance la « dramaturgie » des élections européennes comme un « match » entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Et en écrasant, sur les plateaux télévisés, toute alternative à ce duel sous le brouhaha médiatique.


Frédéric Lemaire (avec Pauline Perrenot et Florent Michaux)

Annexe : les représentants du Rassemblement national dans les radios et télévisions

Nous avons effectué le décompte des invitations de représentants du RN dans les radios et chaînes de télévision du 1er janvier au 17 mars 2019, sur la base de la liste des interventions médiatiques recensées sur le site du RN.

Les médias recensés sont : BFM-Business, BFM-TV, C8, CNews, Europe 1, France 2, France 24, France 3, France 5, France Bleu, France Culture, France Info, France Inter, I24, LCI, LCP, Paris Première, Public Sénat, Radio Classique, RCF, RFI, RMC, RT, RTL, Sud Radio, TV5 Monde.

On compte un total de 233 invitations médias sur 76 jours, soit une moyenne de 3 invitations par jour sur l’ensemble des médias concernés. Ce palmarès est largement dominé par BFM-TV (71) et CNews (60) y compris en comparaison avec d’autres chaînes d’information en continu (14 pour LCI).

par Frédéric Lemaire, pour ACRIMED

 

18/09/2018

La Fête de l’Humanité bat son record de fréquentation… et (presque) personne n’en parle, ce qui agace le PCF

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La Fête de l’Humanité qui s’est déroulée à La Courneuve du 14 au 16 septembre 2018 a connu une très forte affluence battant son record avec 800 000 visiteurs. LE PCF, organisateur de l’évènement, s’étonne que la presse nationale ait accordé plus d’importance à Marine Le Pen ayant fait un discours devant 1 000 personnes.

« Ce weekend a été historique pour les militants communistes. Notre fête, la Fête de l’Humanité a explosé les compteurs en terme de participation en dépassant la barre des 800 000 visiteurs, soit 6 fois plus que les Eurockéennes de Belfort. Cette affluence fait de la Fête de l’Humanité la plus grande fête populaire de France, mais c’est aussi un évènement culturel incontournable avec plus de 60 concerts, avec un village du livre accueillant près de 200 auteurs, des spectacles vivants, des expositions… C’est aussi et surtout l’évènement politique incontournable  de la rentrée avec la présence de nombreuses personnalités du monde politique, syndical, sportif ou associatif. C’est aussi la présence  de stand venant de toute la France (comme le stand de la Fédération du Doubs du PCF avec ses 50 militants bénévoles), aux côtés des stands de partis progressistes du monde entier » décrit le PCF dans un communiqué.

« Nous avons vu plus de personnes sous le stand du PCF de Doubs ce week-end qu’il n’y en a eu devant Marine Le Pen »

Il explique également que « pendant ce temps, Marine Le Pen lance sa campagne européenne à Fréjus devant 1 000 personnes. Même pas un quart des militants bénévoles de la fête de l’Humanité. Il y a d’ailleurs fort à parier (même si nous n’avons pas tenu les comptes) que nous avons vu plus de personnes sous le stand du PCF de Doubs ce week-end qu’il n’y en a eu devant Marine Le Pen, et que la teneur des nos débats étaient bien plus dense politiquement que le vide idéologique du repli identitaire prôné par le Rassemblement national – (ex FN) ».

« Comment s’étonner alors que le RN sort en tête des sondages des européennes si le micro lui est tendu en permanence ? »

Le PCF a constaté qu’à la radio ou dans la presse papier/internet, « tout le monde parle de Fréjus et la Courneuve apparaît dans le meilleurs des cas dans les faits divers. » Et d’ajouter : « Comment s’étonner alors que le RN sort en tête des sondages des européennes si le micro lui est tendu en permanence ? » questionne le parti d’extrême gauche.

Il conclut : « Les communistes qui sont attachés à une presse libre et pluraliste se demandent parfois les raisons qui poussent les éditorialistes à nous écarter de l’actualité traitée par leurs journaux. »

31/08/2018

Intox. Pas de masturbation au programme

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Après la promotion de la pédophilie, voici le gouvernement accusé de vouloir enseigner l’onanisme aux élèves de maternelle... En cette veille de rentrée, les rumeurs les plus fantaisistes ont fleuri, avec un inquiétant succès sur les réseaux sociaux.

C’est un cas d’école de désinformation. « Dès la rentrée 2018 », menace un tract distribué dans les transports à Paris, « un intervenant extérieur » va venir « apprendre la masturbation » et « expliquer l’homosexualité et l’amour anal » à vos enfants. Un avertissement qui s’accompagne depuis le début de l’été de plusieurs vidéos du même acabit. Ainsi, le 26 août dernier, une page Facebook intitulée Roubaix News prétendait dévoiler un « document établissant les bases d’une éducation sexuelle à l’école », alarmant de nombreux internautes.

À l’intérieur de celui-ci, on découvre par exemple que nos bambins de 4 ans seront dès la rentrée éduqués à découvrir « le plaisir de s’exhiber », ou formés aux « jeux génitaux ». Du grand n’importe quoi ? Évidemment. Sauf que la publication est partagée plus de 10 000 fois en une journée et que certains parents s’inquiètent. « J’ai appris la nouvelle via les réseaux sociaux début août.

J’ai passé beaucoup de temps à trier le vrai du faux, mais ce que j’ai trouvé ne me rassure pas. Si je ne travaillais pas, je déscolariserais mes enfants », témoigne ainsi Laïla, mère de deux enfants de 5 et 7 ans.

Des sites d’extrême droite à la manœuvre

Archétype de la fake news, le document relayé par Roubaix News n’est autre qu’un rapport daté de 2008 qui propose des réflexions aux enseignants suisses, comme l’a révélé le Monde mardi. Cette intox a vu le jour suite à la promesse de Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, le 19 juillet, de relancer, par le biais d’une circulaire, les trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. Un enseignement pourtant prévu dans la loi depuis 2001, dont les seuls objectifs sont d’apprendre aux élèves (à partir de la primaire) « le respect du corps humain », et de promouvoir « une vision égalitaire » des relations femmes-hommes.

Particulièrement ciblée, Marlène Schiappa est aussi accusée de vouloir légaliser la pédophilie. À l’origine de ces rumeurs : des sites d’extrême droite comme La gauche m’a tuer ou Réseau libre. Ces as de la fachosphère accusent la secrétaire d’État de ne pas inclure dans sa loi contre les violences sexistes et sexuelles la présomption de non-consentement pour les enfants de moins de 15 ans. Si cette modification n’a pas été introduite dans le texte – pour cause de possible inconstitutionnalité –, rien n’a été changé sur la pénalisation de la pédophilie. Bien au contraire.

La nouvelle loi allonge la durée de prescription des crimes de nature sexuelle sur mineurs et instaure de nouvelles sanctions. Depuis le début de l’été, cette rumeur va pourtant bon train et a même été relayée par des personnalités politiques, parmi lesquelles le conseiller régional RN (ex-FN) Olivier Monteil ou la conseillère municipale LaREM Agnès Cerighelli.

Des rumeurs entretenues par les groupes complotistes, qui appellent à manifester devant toutes les préfectures de France pour la rentrée. Avec quelles chances de succès ? Le ministre Jean-Michel Blanquer a en tout cas tenu à démonter l’intox, mercredi, lors de sa conférence de presse de rentrée : « Je demande à chacun et à chacune (...) de ne pas chercher à créer des peurs là où ce n’est pas nécessaire. » Ces campagnes de désinformation rappellent furieusement celles de l’automne 2014, lancées contre le projet des « ABCD de l’égalité », qui visait à déconstruire les stéréotypes de genre. À l’époque, l’exécutif dirigé par François Hollande avait fini par plier devant les coups de boutoir de la fachosphère.