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13/12/2013

Quel est le but de cette campagne contre l’Humanité ?

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Une cohorte déchaînée de la bien pensance radiophonique, en appui de quelques groupuscules de droite, s’attaque violemment depuis quelques jours au Parlement et à l’Humanité.

Pourquoi ? L’Humanité aurait reçu un cadeau de l’Etat qui lui effacerait ses dettes. Rien que ça ! Sans même vérifier de quoi il s’agit exactement, sans même prendre la précaution de nous passer un coup de fil confraternel, une équipée, qui va de Mrs Apathie, Brunet, Morandini et consors, multiplie les chroniques, émissions spéciales, sous-entendus et autre insinuations pour calomnier l’Humanité, souhaiter sa mort tout en accusant l’Assemblée nationale de complicité coupable. Mme Le Pen leur est venue subrepticement en renfort il ya quelques jours. Et voici que de petits groupes liés à des droites extrêmes lancent une pétition demandant à l’Etat de ne pas payer les dettes de l’Humanité. C’est une farce ! Cela fait près de 30 ans qu’on n’avait pas entendu de tels propos haineux à l’encontre de notre journal.

S’il s’agissait de critiquer un vote des députés ou un choix gouvernemental, rien de plus naturel en démocratie. Mais c’est de bien autre chose dont il est question qui se résume en un seul slogan à propos de nous : qu’ils crèvent ! Et tant qu’elle y est, toute cette bonne société qui petit-déjeune, déjeune et dîne dans le beau monde, passant d’un média privé à un autre, négociant ses bons salaires chaque année au moment du mercato télévisuel, en vient à crier haut et fort, que c’est toute la presse écrite qui est trop, bien trop aidée. Que des citoyens, des salariés, des petits patrons qui, actuellement souffrent terriblement de la crise, des fins de mois difficiles, du manque de débouchés pour leurs productions ou de la cherté du crédit, soient offusqués par un tel prétendu cadeau, peut se comprendre. Mais il ne s’agit pas de cela. Et je veux m’en expliquer.

De quoi s’agit-il ? A la fin de l’année 2000 l’Humanité se trouvait en grave difficulté, proche de la cessation de paiement. Un plan de redressement lourd était décidé à la suite de ma nomination. Il comprenait une sévère restructuration sociale, industrielle et économique, sur laquelle je ne reviens pas ici. Pour la mener à bien, il était indispensable de disposer de prêts relais pour faire face à un certain nombre d’échéances impératives. Avec le directeur financier de l’époque, nous avons rencontré au moins 11 dirigeants de banques importantes. Aucune d’entre elles ne voulait aider une PME dans notre situation ; encore moins une entreprise de presse. Et évidemment, encore moins l’Humanité, journal de la gauche de la transformation sociale et écologique. Face au péril qui menaçait, j’ai du, en désespoir de cause, me tourner vers la banque publique, Banque de développement des PME (BDPME) devenue par la suite OSEO. Celle-ci faisant la même analyse que les autres banques refusait d’accorder quelque crédit que ce soit sans garantie. Me tournant vers la structure du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle), rattachée à Bercy pour traiter de la situation des entreprises en très grande difficulté, notre dossier est devenu encore plus sensible. Au terme de ce parcours du combattant, les pouvoirs publics ont demandé au CIRI et au Fonds de développement économique et social (FDES) de réétudier l’ensemble de notre dossier. C’est là qu’enfin nous avons obtenu trois lots de prêts étalés sur deux années en lien avec le FDES. Le premier, le 24 décembre 2001 pour une valeur de 1,5 millions d’euros. Nous avons remboursé son capital et ses intérêts, soit plus de 2 millions d’euros. Un second au mois de mars 2002 pour un capital de 2,2 millions d’euros pour lequel nous avons remboursé au total une somme dépassant les 3 millions d’euros. Un troisième, le 4 avril 2002 dénommé « prêt participatif », aux taux d’intérêt progressifs, pour une somme de 3,2 millions d’euros. Sur ce prêt, nous avons remboursé environ 20% du capital mais nous payons des intérêts très élevés depuis l’année 2007 puisque pour un emprunt de 3,2 millions d’euros, ils représentent 3,1 millions d’euros. C’est dans ce cadre, et en tenant compte de ces frais financiers exorbitants et pour permettre la reconstitution du capital de l’Humanité que j’ai demandé depuis des années aux gouvernements successifs de reconsidérer notre situation. Tous les gouvernements, sans exception, l’ont toujours admis et sont restés ouverts à nos demandes. En 2009, avait été décidée une solution d’attente transitoire consistant à repousser de 5 ans le remboursement du capital. Mais avec cette formule, les frais financiers ont continué à peser sur notre trésorerie et nos résultats comptables.

A la suite de ces différents examens, l’actuel gouvernement a décidé, en toute transparence et au nom du pluralisme de la presse, de proposer au Parlement de nous délivrer de ce fardeau qui, comme pour d’autres petites entreprises, nous asphyxie à cause des frais financiers. Du reste, c’est contre cette logique que l’Humanité, avec le Front de gauche et d’autres, mène campagne contre les coûts du capital et non pour accuser ceux du travail, comme le font quotidiennement nos censeurs médiatiques, bien moins regardant quand il s’agit du cadeau de 20 milliards d’euros fait au grand patronat ou encore des faramineuses retraites-chapeaux. L’Etat n’est en rien spolié puisque les frais financiers dont nous nous sommes acquittés remboursent largement le capital. Il est ici dans son rôle républicain de garant de la démocratie, de la libre expression des opinions et des idées et donc du pluralisme de la presse écrite d’information générale et politique. Un pluralisme bien utile. Nous sommes à un moment où le monde entier, toute la presse, rend hommage et célèbre Nelson Mandela. Nous nous en réjouissons. Mais, nous ne pouvons oublier que l’Humanité a été bien seule pour faire connaître le sort du dirigeant sud-africain qualifié de « terroriste » pour justifier sa détention par le régime d’apartheid. Rappelons également les campagnes d’information et de décryptage de l’Humanité anticipatrices lorsqu’elles montraient que le traité de Maastricht puis celui de Lisbonne conduisaient l’Union européenne et les peuples dans le mur. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Faire taire la voix de l’Humanité conduirait à désarmer des forces sociales, syndicales, culturelles de leur action pour l’émancipation humaine. Peut-être est-ce d’ailleurs l’objet des actuelles campagnes ?

Enfin, nos procureurs brandissent devant nous une étude bien commode de la Cour des comptes qui, par de savants calculs, a décrété que l’Humanité est le journal le plus aidé. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage ! Je suis prêt, bien sûr, à produire des chiffres, notamment dans le cadre de débats contradictoires avec nos accusateurs que les stations qui les emploient auront à cœur, j’en suis sûr, d’organiser.

La prétendue aide dont bénéficie l’Humanité reste au tiers inférieur de celle allouée à certains confrères. Elle répond tout à fait à ce que prévoit la loi pour les quotidiens à faibles ressources publicitaires. De surcroît, depuis l’année 2000, cette aide a été diminuée de 1 million d’euros qui nous aurait été bien utile.

Autre argument de nos grands maîtres à penser, notre diffusion. Comme si l’Humanité était le seul journal à perdre des lecteurs ! Même si nous ne distribuons aucun journal dans les chaînes d’hôtel, de parking ou dans les premières classes de la SNCF.

Je remarque au passage, qu’aucun confrère de la presse écrite qui vit les mêmes difficultés que l’Humanité, n’a ouvert ses colonnes à ces zorros en peau de lapin. S’il en est ainsi, c’est qu’à l’exception de nos amis de La Croix, tous les journaux perdent des lecteurs et aucun ne vit de la vente de ses titres. La diffusion de l’ensemble de la presse payante a diminué de 180% depuis la Libération. Cela ne doit réjouir personne. Affaiblir un organe de presse ou le fermer comme cela a été malheureusement le cas pour France Soir, Infomatin, Le Matin de Paris ou la réduction de la voilure de La Tribune revient à mettre à chaque fois des centaines de salariés, dont de nombreux journalistes, au chômage. Au-delà, ce sont des milliers de chômeurs supplémentaires dans l’ensemble de la chaîne de production et de distribution des journaux. Et ce qui se passe depuis plusieurs mois dans le monde entier est inquiétant pour toutes et tous sauf évidemment pour les intégristes, les simplistes populistes et l’extrême-droite qui rêvent d’un peuple asservi sans livre, sans théâtre, sans cinéma, sans maisons de la culture, sans journaux mais peut-être truffé d’écoles privées.

Dans un tel monde, toute la presse et la télévision seraient aux mains des puissances d’argent au service d’une pensée unique. Aucun démocrate, aucun républicain qu’il soit de droite ou de gauche ne peut le souhaiter. C’est la question essentielle. A quelle valeur chiffre-t-on la démocratie, le pluralisme des idées, le débat, l’accès à la culture dans une société ? Evidemment, les forces de l’argent et leurs perroquets n’ont pas encore inventé des agences de notation pour cela. Pluralisme, démocratie, respect mutuel, autant de conditions qui vaillent pour faire société et monde ensemble dans cette période de crise qui bouleverse tout, fracture les vies et déchire les repères.

Si nos procureurs ont terminé leur plaidoirie et sont prêts au débat, je suis à leur disposition.

Patrick Le Hyaric, directeur de l'Humanité

PS : Aurélie Filippeti ministre de la culture a donné les précisions suivantes sur l'aide aux journaux par l'Etat :

- Le Figaro et le Monde sont les journaux les plus aidés avec 18 millions d'€ chacun,

- Ouest France : 12 millions d'€

- La Croix : 11 millions d'€

- L'Humanité lui n'a obtenu que 6 millions d'€

24/08/2013

La France sous dictature médiatique

	l'humanité, crise de la presse, pluralisme, c'est un monde

C'est un monde, la chronique de José Fort. Une liberté fondamentale – le droit à l’information honnête et pluraliste – va être une nouvelle fois mise à mal à la rentrée par les principaux médias français.

Un système spécieux se met en place avec la complicité de la droite, du gouvernement socialiste, du patronat et des puissances de l’argent. Les représentants des organes de presse dépendant de Lagardère, Dassault, Berger et quelques autres vont rafler tous les postes de chroniqueurs sur les radios et les télévisions privées et publiques.

Le Nouvel Obs, le Point, l’Express, le Figaro, le Figaro Magazine, Valeurs actuelles etc. auront table ouverte avec pour caution de gauche « Marianne » et « Mediapart ». Vous retrouverez les mêmes Barbier,  Joffrin, Domenach, Plenel… Avec des petits nouveaux : l’ancienne patronne du Medef, Laurence Parisot et l’actionnaire du « Monde » Pierre Berger. Quant à la presse de gauche, la vraie gauche, comme « l’Humanité » ou « Politis », rien, nada. Elle n’existe pas.

Ainsi va la liberté de l’information dont se gaussent les personnes citées plus haut. L’affaire n’est pas nouvelle. Mais attention : nous sommes entrés totalement dans un nouveau temps, celui de la dictature médiatique.

José Fort

14/08/2013

AUX COTES DES LANCEURS D'INFORMATIONS !

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Pour avoir permis la fuite de près de 700 000 documents militaires et câbles diplomatiques vers l’organisation Wikileaks, un jeune soldat américain, Bradley Manning, risque cent trente six années de prison. 136, c’est-à-dire au delà de la perpétuité ! Présenté devant le tribunal la semaine dernière, après avoir été arrêté en 2010 en Irak où il était en poste, B. Manning était enfermé à la prison militaire de Quantico dans l’état de Virginie.

Tous les experts et associations des droits humains, jusqu’au rapporteur de l’ONU sur la torture, ont dénoncé des conditions de détention insupportables. Le chef d’accusation de « collusion avec l’ennemi » n’a finalement pas été retenu par le tribunal. Mais, il reste accusé de vingt et un autres délits, dont le viol de la loi sur l’espionnage, le vol ou la fraude informatiques. Qu’est ce qui gène le plus une partie de l’administration de l’armée et de la justice nord-américaine ?

Ce sont les révélations sur la manière dont sont menées les guerres en Afghanistan et en Irak. B. Manning a révélé les graves abus commis par l’armée des États-Unis dont un acte de guerre atroce où on voit un hélicoptère US cibler et tirer sur une douzaine de personnes, dont deux photographes de l’agence Reuter.

Certes, les secrets d’état peuvent exister. Mais ici, il s’agit d’autre chose. Il s’agit, à partir d’informations toujours cachées au grand public, de dénoncer des faits et des risques de dérives graves, préjudiciables même à l’image des États-Unis d’Amérique. Ainsi, que les citoyens américains et les autres aient accès à de telles informations, ne peut donc que susciter un débat salutaire sur les méthodes de l’armée américaine, voir au-delà, sur la pertinence de ces guerres.

Des secteurs de la justice et de l’armée ont reproché à B. Manning d’avoir servi Al Qaïda ou Ben Laden dévoilant ces informations. C’est renverser les choses ! En effet, n’est-ce pas l’armée nord-américaine et les services secrets qui ont formé les leaders terroristes pour empêcher toute forme de contestation progressiste et tout mouvement d’émancipation humaine? Alors que le régime nord-américain déstabilisait et fomentait des coups d’état en Amérique Latine, développait la guerre froide et s’attaquait aux forces progressistes et aux partis communistes, il créait ces montres dont il ne sait que faire aujourd’hui tant ils lui échappent.

De même, vient encore d’être révélé, il y a quelques semaines, grâce à Edward Snowden, un ancien employé des services NSA, que les Etats-Unis écoutent le monde entier, jusqu’aux gouvernements européens, qui se comportent en petits vassaux, comme vient de le prouver l’ouverture de négociations sur un projet de marché transatlantique comme si la révélation de ce vaste système d’écoutes ne leur faisait ni chaud ni froid!

Mais quel est la question de fond? La même que depuis la fin de la seconde guerre mondiale mais dans un contexte totalement bouleversé par la crise et par l’émergence de nouveaux pays qui comptent sur la scène internationale, tandis que  l’expérience des peuples qui, plus ou moins confusément, au prix d’une multitude de tâtonnements, cherchent de nouveaux chemins pour l’émancipation humaine.

 C’est dans ce contexte nouveau que les dirigeants et l’administration nord-américaine cherchent à conserver, affermir et renforcer leur domination mondiale qui leur est contestée. C’est ce qui transparaît tout au long d’un rapport récent de la CIA sur la perspective d’ici 2030.  Ce dernier évoque plusieurs scénarios d’avenir dont celui de la poursuite du relatif déclin nord-américain en le présentant comme une catastrophe mondiale, en ces termes : « L’effondrement ou le retrait soudain de la puissance américaine engendrerait très certainement une longue période d’anarchie mondiale* ».

Permettre aux États-Unis de garder cette suprématie impliquerait donc de les laisser faire. Dans ce cadre, ils devraient bénéficier d’une totale impunité et les autres pays devraient leur livrer tous les lanceurs d’alerte, comme ils ne cessent de le réclamer. Le monde de la liberté n’a décidément pas le visage qu’on lui prête. Et pourtant, aucun grand débat, aucune sorte de mouvement de protestation n’est développé parmi celles et ceux qui se présentent comme les défenseurs des droits de l’homme.

Pourtant, aux Etats-Unis mêmes, les révélations de B.Manning ont déclenché dans l’opinion des questionnements sur la guerre et aussi sur la transparence et le secret d’état. Sur d’autres sujets, comme les paradis fiscaux, la fraude fiscale, ceux que l’on appelle « les lanceurs d’alerte » sont très utiles à l’information et au débat public. Ce procès aux Etats-Unis et la lourde condamnation de B. Manning créent un climat de peur, menaçant le journalisme d’investigation et le droit d’être informé.

Raison de plus pour se mobiliser afin de défendre les libertés partout. Mais peut être que cette chasse aux lanceurs d’informations est elle le révélateur d’enjeux plus profonds qui ont a voir avec la multitude de crises qui touchent en profondeur les Etats –Unis et tout le monde occidental : Les lourds échec en Afghanistan, l’Irak ,la crise économique et financière sans fin. C’est la crise de l’hégémonie nord-américaine sur un monde en pleine recomposition qui est amorcée. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour les peuples. Cela peut expliquer leur agressivité. Raison de plus pour ne pas laisser, B Manning, Assange ou Swoden seul !

bradely manning,usa,le hyaric,l'humanité* Le monde en 2030 vu par la CIA (rapport CIA)

Patrick Le Hyaric, directeur de l'Humanité, député au parlement européen

23/07/2013

Henri Alleg, journaliste, et auteur de La Question

	l'humanité, algérie, guerre d'algérie, maurice audin, colonisation, henri alleg, albert camus, série des journalistes et des combats, kateb yacine, sétif, mustapha kateb, gilberte serfaty, boualem khalfa, ali boumendjel, Ancien journaliste de l'Humanité, militant communiste et auteur de l'ouvrage "La Question" (1958) qui dénonçait la torture pendant la guerre d'Algérie, décédé à Paris à l'âge de 91 ans. Portrait publié par l'Humanité.

Depuis Alger républicain dont il devient directeur en 1951, le journaliste communiste a fait de sa plume l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. Son livre la Question a contribué de manière décisive à lever le voile sur les tortures de l’armée française.

«Enfin Alger ! Un quai inondé de soleil, que surplombe le boulevard du front de mer.» Lorsque le jeune Harry Salem débarque pour la première fois à Alger, au mois d’octobre 1939, c’est d’abord ce mythique éclat de la Ville blanche qui l’étreint. Alors que le fascisme étend ses tentacules sur la vieille Europe et fourbit les armes du désastre, le jeune homme, qui rêvait de nouveaux horizons, aurait pu embarquer pour New York, ou pour l’Amérique latine. Le hasard et quelques péripéties l’ont conduit en Afrique du Nord, vers ce qui était alors, encore, un «département français».

Société d'apartheid

Pour le petit Parisien, fils de tailleurs, né à Londres dans une famille de juifs russes et polonais ayant fui les pogroms, la découverte de l’Algérie est un bouleversement. Dans cet autre monde, son rêve algérien prend immédiatement corps. Il se lie avec des Algériens, des gosses déguenillés de la place du Gouvernement jusqu’aux amis rencontrés à l’auberge de jeunesse où il loge, parmi lesquels Mustapha Kateb. Des amitiés contre-nature, dans cette société d’apartheid. Instinctivement, le jeune homme refuse la frontière invisible qui sépare deux mondes, celui des Européens, citoyens français, et celui des indigènes, rendus étrangers à leur propre pays. Alors que les vichystes tiennent Alger, Henri, déjà communiste de cœur, adhère à la Jeunesse communiste clandestine, avant de rejoindre le Parti communiste algérien (PCA). C’est là, dans l’euphorie de la Libération, que son chemin croise celui d’une « sympathisante », Gilberte Serfaty. Elle deviendra une ardente militante et, pour lui, la compagne de toute une vie.

Racisme et oppression coloniale

En Algérie, à ce moment-là, un point de non-retour est franchi, avec les massacres de mai 1945 à Sétif et Guelma, prologue d’une guerre qui devait éclater neuf ans plus tard. Pour Henri Alleg, la plume devient l’arme du combat pour une Algérie libérée du racisme et de l’oppression colonialiste. En novembre 1950, il entre à Alger républicain. Le quotidien a été fondé en 1938 par des hommes de progrès opposés à la toute-puissance du grand colonat. Sans remettre en cause le dogme de l’Algérie française, il témoignait, avant guerre, sous la plume d’Albert Camus et d’autres «libéraux», du sinistre sort reservé aux indigènes. Lorsqu’Henri Alleg prend la direction du journal, en 1951, les communistes y ont déjà acquis une influence prépondérante. La ligne du journal se fait plus résolument anticolonialiste, solidaire des luttes ouvrières, favorable à l’objectif d’indépendance. Ce titre est le seul à échapper au monopole de la presse quotidienne détenue par les grands colons.

Aux côtés d’Alleg, chose inédite et impensable à l’époque, un «indigène», Boualem Khalfa, est promu rédacteur en chef. L’engagement du journal irrite au plus haut point les autorités, qui le censurent et multiplient les saisies au moindre prétexte. Henri Alleg et son équipe tirent de cet acharnement répressif un slogan : «Alger républicain dit la vérité, rien que la vérité, mais Alger républicain ne peut pas dire toute la vérité.» Alleg encourage les plumes acérées, comme celle du jeune Kateb Yacine, dont les analyses politiques, d’une finesse et d’une impertinence insensées, subjuguent jusqu’aux plus aguerris de la rédaction. Lorsqu’éclate l’insurrection, le 1er novembre 1954, Alger républicain est déjà depuis longtemps dans le collimateur des gardiens du temple colonial. Le journal est interdit en 1955.

Clandestinité et censure

Henri Alleg entre dans la clandestinité. Régulièrement, il envoie des articles au journal l’Humanité, interdit sur le sol algérien, cible, à son tour, en France, des ciseaux d’Anastasie. Il est arrêté le 12 juin 1957, alors qu’il se rend au domicile de son ami, le mathématicien Maurice Audin, enlevé la veille par les parachutistes. Torturé à mort, Audin n’est jamais revenu des supplices que lui infligèrent les barbares aux ordres de Massu et Bigeard.

Alleg, lui, est un rescapé de l’enfer. Tous les supplices, tous les noms, tous les lieux, les paroles mêmes se gravent à jamais dans sa mémoire. Il entend tout dire, s’il survit, de ce qui se passe dans cet immeuble investi par la 10e D.P., à El Biar, où fut «suicidé» l’avocat Ali Boumendjel. Son témoignage franchit les murs du camp de Lodi, puis de la prison de Barberousse, sur de minuscules papiers pliés. Son avocat Me Léo Matarasso, le transmet à l’Humanité. L’édition du 30 juillet 1957, qui reprend ce récit glaçant, est saisie.

Au printemps 1958, Jérôme Lindon accepte de le publier aux éditions de Minuit. Le livre, préfacé par Sartre, est aussitôt interdit. Mais la censure provoque l’inverse de l’effet escompté. Deux semaines plus tard, depuis Genève, l’éditeur Nils Andersson prend le relais. La Question passe la frontière dans des valises et circule, en France, sous le manteau. Au total, 150 000 exemplaires clandestins du livre seront diffusés, contribuant de manière décisive à lever le voile sur la torture. Trois ans après son arrestation, Henri Alleg est inculpé d’«atteinte à la sûreté extérieure de l’État». Il écope de dix ans de prison. Transféré à la prison de Rennes, il s’évade, avec la complicité de Gilberte, lors d’un séjour à l’hôpital. Aidé par des militants communistes, il rejoint la Tchécoslovaquie, où il séjourne jusqu’à la signature des accords d’Évian.

Rêve algérien

Lorsqu’il revient à Alger pour superviser la reparution d’Alger républicain, les menaces des « frères » du FLN, prêts à s’entre-tuer pour le pouvoir, sont à peine voilées. Avec Abdelhamid Benzine, Henri Alleg échappe de peu à des hommes en armes. L’équipe, pourtant, se reconstitue. L’appui technique de la Marseillaise rend possible la reparution du journal, qui fait sien le slogan des femmes de la casbah, excédées par la guerre que se livrent les factions du FLN : « Sebâa snin barakat ! » (« Sept ans de guerre, ça suffit ! »). Pourtant, le fossé entre la nouvelle Algérie du FLN et le rêve algérien d’Alleg et de ses camarades est bien là. Il se muera en incommensurable abîme. Après le coup d’État de 1965, il doit prendre la fuite. Les communistes sont pourchassés. Dans l’Arbitraire, un livre témoignant des tortures que lui infligèrent les hommes de la dictature naissante, le dirigeant communiste Bachir Hadj Ali raconte que ses tortionnaires menaçaient de faire d’Alleg, réfugié à Paris, un Ben Barka algérien.

Le combat de sa vie

L’Algérie est pourtant restée, dans le cœur du journaliste, comme le combat de sa vie. «Je suis heureux et fier d’avoir pris part au combat pour l’indépendance», nous confiait-il en mars 2012. À son retour en France, cet homme discret, érudit, d’une gentillesse exquise, a rejoint la rédaction de l’Humanité comme grand reporter, puis en devint le secrétaire général. «J’ai exercé ce métier en militant communiste, animé de convictions, aime-t-il à répéter. Ce fut pour moi un engagement, au sens fort du terme.»

"Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", souligne François Hollande. "A travers l'ensemble de son oeuvre -jusqu'à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005-, il s'affirma comme un anticolonialiste ardent", a souligné le président de la République dans un communiqué. "Il fut un grand journaliste, d'abord à Alger Républicain, dont il assura la direction, puis à L'Humanité, dont il fut le secrétaire général et auquel il collabora jusqu'en 1980. Son livre, La Question, publié en 1958 aux éditions de Minuit, alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie", a ajouté François Hollande, en soulignant que "toute sa vie, Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite", en restant "constamment fidèle à ses principes et à ses convictions".