17/12/2017
Le podcast, une nouvelle façon d'écouter la radio
« Une fois que vous avez commencé, vous ne pouvez plus vous en passer ! » prévient Gus Brandys. De quoi s'agit-il ? D'une drogue ? Non, mais c'est tout comme pour ce professeur d'histoire-géographie à Genève. Il pousse un soupir. « Je n'aurais jamais dû mettre le pied dans l'engrenage. » Comprendre : les oreilles dans le casque. Car Gus Brandy parle ici des podcasts, ou balados, comme le disent plus poétiquement les Québécois ; ces programmes audio, issus de la radio ou non, que l'on peut télécharger puis écouter à tout moment depuis son smartphone. Gus fait défiler ceux auxquels il est abonné. Rapide calcul : « Je dois dépasser les 50. Je suis vraiment un très gros consommateur... »
Le podcast, c'est addictif, tous les fans de ce format audio vous le diront. Il est vrai qu'il s'adapte à merveille à nos modes de vie. Un trajet en métro ou en voiture, une séance à la salle de sport, un peu de ménage à la maison ? Hop, on visse le casque sur ses oreilles, on effleure le petit triangle Play et nous voici transportés dans un autre monde. « C'est devenu mon premier réflexe. Dès que je pars de la maison, je regarde si j'ai de nouveaux épisodes », confie Mathilde Lacombe, cofondatrice de Joliebox (aujourd'hui Birchbox). Ecouter des podcasts a révolutionné ses longs trajets quotidiens entre Reims, où elle vit, et Paris, où elle travaille. « J'ai découvert les podcasts il y a deux ans avec le phénomène Serial aux Etats-Unis [enquête sur un meurtre, NDLR], se souvient-elle. Ce que j'adore, c'est Le côté à la demande, je choisis ce que j'écoute. »
Son cocktail radiophonique ? Affaires sensibles et Le Billet de Nicole Ferroni, sur France Inter, Transfert, sur Slate, How I Built This et Génération XX, à propos de l'entrepreneuriat. Soit un mélange d'émissions de radio podcastées et de podcasts dits natifs, créés par des médias non radiophoniques, des réseaux de podcasts sur Internet ou encore des indépendants. Il y en a pour tous les goûts. Les barrières à l'entrée étant minimes - un simple micro de téléphone peut suffire à enregistrer du contenu sonore - des centaines de podcasts ont été lancées sur tous les sujets possibles et imaginables.
Combler un vide médiatique
C'est pour trouver des « contenus sur des thèmes qui ne sont pas traités ailleurs, comme la pop culture ou les jeux vidéo » qu'Arnaud Delevacque, ingénieur en informatique et « podcastovore assumé », s'est tourné vers les podcasts indépendants. Parmi ses préférés, l'inclassable Riviera Détente d'Henry Michel, Les Démons du MIDI sur la musique des jeux vidéo ou encore Pardon Maman, balado de vulgarisation vulgaire. Difficile d'imaginer de telles émissions à la radio, média de masse aux contenus fédérateurs.
« Il y a une forte demande pour des formats originaux, à la fois plus informels et plus anglés, des contenus personnalisés, avec un parti pris et un ton qui sort de l'ordinaire », observe Joël Ronez, cofondateur du réseau de podcasts Binge Audio, lancé fin 2016. Pour Lauren Bastide, créatrice du balado féministe La Poudre, « le podcast vient combler les vides médiatiques ». Elle cite en exemple les nombreux podcasts lancés à destination des Afro-descendants, comme Le Tchip diffusé sur Arte Radio, le pionnier du podcast qui a fêté ses quinze ans début novembre.
Ce format audio répond aussi à un autre besoin : celui de ralentir, de s'extraire de la frénésie de l'info en continu et de l'instantanéité des réseaux sociaux, en se glissant dans une bulle le temps d'un épisode. « Les podcasts sont une vraie bouffée d'air frais, une pause dans ma consommation quotidienne de réseaux sociaux, témoigne Ingrid. Avec les podcasts, je prends enfin le temps, je choisis ce que je veux écouter et je prends même parfois la liberté de revenir sur un passage bien précis pour en prendre note. » Cette trentenaire, consultante en relations publiques à Paris, affectionne tout particulièrement les balados de conversation. « Ecouter les parcours inspirants de femmes ou d'hommes, connus ou inconnus, entrepreneurs ou non, mais qui ont des projets et de vraies convictions, me booste. J'aime le fait qu'ils se confient en toute intimité sur leurs doutes, leurs réussites et leur équilibre. »
Intimité... Voilà bien un mot-clé du succès du podcast : l'intimité d'une conversation entre l'hôte et son invité autour d'un micro qui se fait rapidement oublier ; l'intimité qui se développe entre le podcasteur et son audience au fil des épisodes ; l'intimité d'un son reçu au creux de l'oreille. Pour Constanze Stypula, directrice d'Audible France, « c'est une intimité qui renvoie les auditeurs à leur enfance, à ce temps où on leur lisait une histoire ». Sans surprise, les podcasts qui racontent des histoires, vraies ou fictionnelles, d'anonymes ou de personnalités, sous forme d'interview-fleuve ou de mises en récit façon storytelling américain, sont justement ceux qui ont le plus de succès. « L'audio parlé est une catégorie distincte, qui n'est comparable ni à la lecture, ni à la vidéo, poursuit Constanze. Je pense que la vue nous empêche parfois de vraiment écouter une personne. » L'audio demande moins de concentration que la lecture mais ne nous hypnotise pas autant que peuvent le faire les écrans. Sans image à regarder, notre cerveau est plus attentif à tout ce qu'une voix peut véhiculer d'émotions, de nuances, de sentiments... Une étude publiée récemment dans la revue scientifique American Psychologist (1) suggère que la voix seule est le meilleur vecteur pour détecter les émotions de quelqu'un.
Cette sensation d'intimité est renforcée par la forte subjectivité qui caractérise le podcast. Les hôtes y mettent beaucoup d'eux-mêmes. « Quand je parle, je n'ai pas du tout le ton du journaliste, je suis dans la vie comme dans mes émissions », assure Patrick Beja, qui se définit comme un « artisan du podcast », créateur notamment du balado Le RV Tech sur l'actualité de la technologie et d'Internet. C'est pour ça qu'une relation très forte se noue entre le podcasteur et ses auditeurs. Ils ont l'impression d'être invités à la table des animateurs et de rigoler avec eux. C'est exactement ce que ressent Arnaud Delevacque. « On a le sentiment d'être assez proche des personnes qui animent les podcasts, on finit par avoir l'impression de les connaître et c'est un plaisir de les retrouver à chaque épisode, comme si on rejoignait des amis. » Au fil du temps, des contacts se nouent avec le podcasteur mais aussi entre auditeurs, tout d'abord virtuels sur les réseaux sociaux et des forums dédiés puis de visu lors d'enregistrement en public et de rencontres. La bulle s'agrandit. Le podcast se matérialise en une communauté.
L'ADN communautaire des balados
Chez Qualiter, qui produit notamment l'émission de société numérique Studio 404, il est « aussi important de faire des podcasts que de faire des choses pour notre communauté », explique FibreTigre, l'un des cofondateurs de cette petite maison de production de balados. Début novembre, ils se sont retrouvés avec une cinquantaine de leurs auditeurs dans les Pyrénées pour leur deuxième Post-Qamp déconnecté.
Au programme : « Pas d'heure ni de data, de smartphones, de casques audio ou appareils photos, mais plein d'activités et de gens joyeusement déboussolés. » Vous n'en saurez pas plus, il était interdit de communiquer. Cet esprit communautaire est dans l'ADN des podcasts francophones les plus anciens, comme ceux de RadioKawa, mais les plus récents ne sont pas en reste. Lauren Bastide n'en revient toujours pas du nombre d'auditrices avec lesquelles elle échange : « C'est dingue, je reçois des dizaines de messages tous les jours, des témoignages où elles se confient sur leur vie, leurs études, leur couple, leur sexualité... C'est quelque chose que je n'ai jamais connu en écrivant pendant dix ans dans le magazine 'Elle'. »
Pour Julien Cernobori, longtemps journaliste à Radio France et maintenant auteur de Super Héros, un podcast de récits de vie, « on est placé sur un piédestal à la radio alors que le podcast crée beaucoup de proximité ».
Julien Cernobori chérit la liberté avec laquelle il peut façonner son balado. « Faire parler une personne anonyme pendant une heure et demie, voire deux heures, n'aurait jamais été possible à la radio. » En s'affranchissant de la nécessité de plaire au plus grand nombre et des contraintes d'une grille des programmes, le podcast offre un espace de liberté et de créativité quasiment sans limite, sur la forme comme sur le fond, qui rappelle à certains l'ère des radios libres.
Ceux créés par des amateurs présentent souvent un côté artisanal qui fait leur charme, même si une qualité sonore trop médiocre peut finir par décourager certains auditeurs. Car plus on écoute de podcasts, plus on devient exigeant. Ne serait-ce que pour des questions de temps. « Il y en a tellement que je suis obligé d'être très sélectif. Je préfère toujours écouter un programme qui va vraiment m'apprendre quelque chose », souligne Gus Brandys, pour qui les balados représentent « une manière incroyable de se cultiver. J'ai appris énormément de choses très utiles pour ma profession et ma vie en général ». Il divise ses écoutes en deux catégories : celles qui nourrissent son métier, comme Les Enjeux internationaux ou Rue des écoles sur France Culture, et celles qui abreuvent ses passions, comme NoCiné, Un Episode et J'arrête, ou encore des fictions terrifiantes telles que Archives 81.
Pour beaucoup, le podcast vient étancher une soif d'apprendre. « Dans cette époque où l'on éprouve le besoin de se nourrir intellectuellement en permanence, le podcast permet de ne plus laisser de plage de vide », relevait à ce sujet Charlotte Pudlowski, la créatrice de Transfert, lors d'une récente conférence sur les balados organisée par le studio Nouvelles Ecoutes. « Nous avons un besoin de productivité permanente, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours très sain. » Drôle de paradoxe.
Le podcast offre une respiration loin de la frénésie médiatique mais on l'utilise aussi pour se remplir la tête à chaque moment qui serait autrement jugé perdu ou sous-exploité. Ce ne sont pas les enceintes connectées intelligentes, c'est-à-dire dotées d'un assistant personnel, qui vont changer cette tendance, bien au contraire. Leur arrivée dans nos foyers pourrait conduire à une explosion des usages. « C'est le dernier maillon de la chaîne. Les enceintes connectées vont complètement ubériser le marché de l'audio », prédit Joël Ronez de Binge Audio. Une simple commande vocale et le dernier épisode de votre podcast préféré se met à résonner dans votre salon pendant que vous faites le ménage.
Né avec la numérisation de l'audio, le balado n'a pas fini de bénéficier des évolutions technologiques. Pour Jeanne Robet, réalisatrice sonore, auteure notamment de Crackopolis, la série documentaire audio sur le Paris du crack, « une des branches d'avenir du podcast est l'écoute géolocalisée ». C'est-à-dire des contenus sonores qui se déclenchent au fil d'un parcours en fonction de la position GPS de l'auditeur pour faire revivre une ambiance, raconter l'histoire d'un lieu, relater une fiction dans un décor plus que réel... Jeanne rêve ainsi de créer une course-poursuite à écouter en faisant son jogging. Imaginez-vous chaussant vos baskets, logeant vos écouteurs dans vos oreilles et partant à toute allure aux trousses du héros.
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