24/11/2015
Daech adapte sa communication en fonction de ses cibles
Daech vient d’éditer le douzième numéro de sa revue Dabiq . Comment décririez-vous la communication de l’organisation terroriste ?
François-Bernard Huyghe C’est une communication 2.0. high-tech, sophistiquée et très orientée vers les réseaux sociaux. Dabiq se trouve sur Internet, en format PDF. C’est bien construit, avec une belle maquette. Les focales de leurs vidéos, la composition des images, tout ça est très moderne. Il y a une volonté esthétique et symbolique qui se traduit toujours par des couleurs très franches, des compositions très symétriques et beaucoup de références cinématographiques, y compris à des feuilletons occidentaux. La forme est extrêmement importante. C’est quelque chose que les membres de Daech déclinent d’ailleurs selon les langues et les cultures de ceux à qui ils s’adressent. Ils utilisent des références culturelles différentes en fonction de qui est leur cible. En Angleterre, ils vont s’appuyer sur l’image du rappeur Djihad-John (soupçonné d’être le bourreau du journaliste James Foley – NDLR). En France, on voit surtout des « grands frères des cités » qui parlent d’immigration. Les textes en arabe s’adressent à un public beaucoup moins « déculturé » par rapport aux traditions musulmanes.
Après les attentats de Charlie Hebdo, on nous a expliqué que l’islam était une religion iconoclaste. Comment expliquer un tel recours à l’image de la part de Daech ?
François-Bernard Huyghe C’est vrai qu’en tant que wahhabites, ils sont iconoclastes, voire iconophobes. Les talibans détruisaient des pellicules de 16 millimètres pour signifier leur rejet de l’image filmée. Ils ont également massacré les bouddhas de Bâmiyân parce que c’était, selon eux, une représentation offensante d’Allah. En même temps, si nous les avons vus à l’acte, c’est qu’ils se sont fait filmer… Leur raisonnement consiste à dire que les textes sacrés interdisent de faire des images, parce que c’est imiter le Créateur et parce qu’elles sont excitantes sexuellement ou autrement. Mais que, lorsqu’elles sont pédagogiques, lorsqu’elle mettent l’amour de Dieu dans le cœur de l’homme, alors, elles sont bonnes.
Quel message porte cette communication ?
François-Bernard Huyghe Le message terroriste dit « qui nous sommes », « ce que nous voulons » et « qui sont nos ennemis ». Il affirme donc : « Nous sommes les représentants des vrais musulmans, de la vraie foi », en s’appuyant sur de nombreuses références théologiques et en se réclamant du wahhabisme. Le message dit aussi : « Nous sommes l’avant-garde. Nos ennemis sont des croisés et des pécheurs, mauvais politiquement, parce qu’ils bombardent la Syrie, et moralement, parce qu’ils boivent aux terrasses des cafés. » Ce qu’ils déclarent vouloir, c’est le califat. Ils insistent aussi sur la Hijra, l’obligation pour tout bon musulman de s’installer sur la terre où on applique enfin la charia. Ce qui n’est pas sans rappeler les premiers colons sionistes qui se rendaient en terre bénite d’Israël. Il y a un côté complètement utopique.
À qui s’adressent-ils ?
François-Bernard Huyghe Tout message terroriste a plusieurs publics. D’abord, les ennemis. Pour leur faire peur, les défier. Puis, son propre camp pour lui dire : « Voyez comme nous sommes forts, comme la lutte est exaltante et comment demain sera meilleur. » On s’est aussi rendu compte qu’il y a une communication orientée vers les garçons et une autre vers les filles. Dans un numéro de Dabiq, on trouve, par exemple, l’interview d’Abaaoud à côté de celui de la compagne de Koulibali. Plus largement, on réserve aux garçons les vidéos où on égorge des gens, où on les fait brûler, les massacres et les entraînements. C’est comme des films d’action. On saute d’un camion. On tire. Un imam vient amener un peu de baume idéologique là-dessus. Ils portent des Ray-Ban, brandissent des kalachnikovs, conduisent de gros pick-up… Pour les filles, c’est plus soft. On leur dit : « Regarde, ma sœur, c’est humanitaire. Nous soignons les enfants. Nous construisons des hôpitaux. »
L’utilisation des réseaux sociaux et des vidéos rappelle les méthodes de certains groupes complotistes ou de prédicateurs comme Soral ou Dieudonné…
François-Bernard Huyghe Daech utilise ces réseaux. On peut être complotiste sans être djihadiste ou djihadiste sans être complotiste, mais on est souvent les deux… Il y a, au fond, l’idée que tout a été planifié par les « juifs » et les « croisés », et que chaque chose fait partie d’un même plan « diabolique ». On met dans le même sac le cafetier raciste, l’impérialisme américain et les croisades de Saint Louis. Par ailleurs, si vous vous rendez sur des sites complotistes, c’est parce que vous ne trouvez pas votre opinion sur les grands médias. Les réseaux sociaux favorisent le phénomène parce qu’on s’y retrouve entre soi. Mais il faut se méfier de l’emploi idéologique du terme « complotiste ». Et ne pas l’appliquer à toute personne qui pense que les choses ne se passent pas comme elles devraient. On doit pouvoir être critique sans être assimilé à un complotiste paranoïaque.
Les médias dominants jouent-ils, malgré eux, un rôle dans la diffusion de la propagande djihadiste ?
François-Bernard Huyghe Il y a, en effet, ce que l’on nomme le « judo-terrorisme ». Les terroristes sont contre le système et ils pensent que les médias sont la pire expression de ce système. Celle qui abrutit le peuple. Et, en même temps, ils les utilisent pour faire leur publicité. Et parce que les terroristes provoquent des événements spectaculaires, ces mêmes médias ne résistent pas à la tentation de publier leurs communiqués, leurs textes, de montrer leurs têtes, leurs « martyrs ». Entre un système de mass médias, qui donne de l’ampleur aux actes terroristes, et la communication djihadiste qui échappe à la censure, les membres de Daech gagnent sur tous les terrains.
Comment lutter efficacement contre cette propagande ?
François-Bernard Huyghe On peut user de censure, bien sûr. La France est parmi les pays au monde qui demandent le plus à Facebook et Twitter de fermer des comptes. Ce n’est pas efficace. On peut faire de la contre-propagande, mais nous ne sommes pas bons en la matière. Le site Stop-djihadisme n’apporte pas de vrais résultats. On dit aux jeunes : « Si vous allez là-bas, vous allez mourir ou tuer des gens. » Mais, justement, ils sont attirés par le djihad parce qu’on peut mourir et tuer ! Il y a d’autres méthodes plus efficaces : envoyer de faux messages, des virus informatiques. Ce n’est pas dans la culture française et ça pause des problèmes légaux, mais c’est ce que font des groupes comme Anonymous. Les Britanniques ont ainsi créé la « section 77 » pour faire des interventions idéologiques sur les réseaux sociaux de façon secrète. Nous n’en connaissons pas encore les résultats du fait même du secret.
19:50 Publié dans Actualités, Entretien, Journal, Manipulation, Photos, Réseaux sociaux, Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françois-bernard huyghe, daech, manipulation | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
19/06/2015
LA MANIPULATION 2.0
Taper Ryan Holiday sur Google.fr, et le nombre d’occurrences est surréaliste : 93 500 000. Certes, il doit y avoir plusieurs Ryan Holiday. Mais pour simple comparaison, tapons François Hollande : 22 700 000. Bien sûr, vous ne connaissez pas Ryan Holiday. Moi aussi, j’ignorais cet homme à la notoriété planétaire, qui s’avère être à la ville l’actuel ou l’ancien directeur de la communication d’American Apparel. Il vient de produire un livre, Croyez-moi, je vous mens. Confessions d’un manipulateur des médias (Éditions Globe, 2015), dans lequel il narre son expertise en webmarketing, en un mot comment créer du buzz, du clic, de l’influence, du trafic, et au final beaucoup d’argent.
Le système viral fonctionne comme une pyramide de Ponzi, avec au cœur de ce dispositif principalement des blogs américains : Gawker, Business Insider, Politico, Huffington Post, Drudge Report, BuzzFeed, Reddit, BoeingBoeing, Laughing Squid, FFFFound, Videogum, Mediabistro, Slate.com, Curbed, TechCrunch, Mashable, Freakonomics, FiveThirtyEight, Nate Silver, TreeHugger – sans oublier en amont et en aval Youtube et Wikipédia, qui jouent un rôle plus structurel encore d’accréditeur –, la liste est plus longue encore et s’update régulièrement.
Ce cher jeune homme de 28 ans nous explique ainsi comment, à partir d’une information qui n’en est pas une, il crée une circulation et une diffusion exponentielles, se traduisant en espèces sonnantes et trébuchantes pour ces clients. Le jeu étant principalement de manipuler les blogs institutionnels ou les médias traditionnels en leur laissant croire qu’ils ont trouvé, grâce à leur investigation qualitative, la perle rare dans leurs pérégrinations numériques, alors qu’ils ne font que suivre le petit itinéraire concocté par le dircom adulescent.
Les tactiques sont vieilles comme le monde, simplement ajustées au monde digital : il s’agit d’organiser de fausses fuites, de rédiger de faux mails avec de fausses adresses, de créer des « sources » de toutes pièces, d’offrir des produits aux blogueurs pour acheter leur bienveillance, d’organiser son autopromotion via des commentaires inventés sur les sites, d’avoir l’art de la titraille, de polémiquer inutilement, d’user abusivement de l’image, de manier le chaud et le froid (en soutenant de façon ostentatoire les causes perdues d’avance et en couvrant les faits et gestes de la haute société), de faire croire à une rumeur pour rendre l’information plus attractive, d’être très rapide – partant les modérateurs des sites ne font jamais d’erreurs mais des « mises à jour », cela permet d’écrire du faux, en expliquant que la vérification est en cours de route, etc.
Oubliez la déontologie, l’éthique, cela n’a aucun sens et n’est nullement l’enjeu. L’enjeu, c’est de générer du clic : nulle lecture, nulle compréhension de ce qui est écrit. Simplement du clic. La crédibilité ne fait pas le business model, clame Ryan Holiday ; il faut raconter aux lecteurs ce qu’ils veulent entendre. Cessez de « nourrir le monstre », dit le gaillard, qui s’est bien gavé, et qui malgré la nausée et l’apparence de la dénoncer, n’est pas près de lâcher l’affaire.
(1) - Cynthia Fleury (civilement Fleury-Perkins), née en 1974, enseigne la philosophie politique (en qualité de research fellow et associate professor) à l'American University of Paris, chercheur associé au Muséum national d’histoire naturelle, maître de conférences (vacataire) à l'Institut d'études politiques de Paris, psychanalyste et enseignante à l'École polytechnique.
Elle tient une tribune libre, hebdomadaire, dans L'Humanité depuis 2003. Auteur de nombreux articles, elle est fréquemment invitée sur les plateaux de télévisions pour parler de thèmes tels que la politique, la religion ou l'imagination.
16:42 Publié dans Actualités, Eclairage, Informations, Internet, Manipulation, Réseaux sociaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cynthia fleury, manipulation 2.0, manipulation, digital | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
28/11/2014
VIDÉO. Le PCF sous-titre un Bollywood pour critiquer Hollande, Gattaz et le Medef
POLITIQUE - "Hollande - Gattaz: la vidéo que Mediapart n'ose pas vous révéler." C'est avec ce message, très second degré, que le porte-parole du PCF a partagé sur Twitter la dernière création du Parti communiste ce vendredi 28 novembre.
Second degré car la vidéo n'a rien d'une investigation: il s'agit d'un film Bollywood sous-titré et détourné pour dénoncer l'emprise du président du Medef, Pierre Gattaz, sur François Hollande.
Sur le modèle du site Bombay TV qui propose aux internautes de sous-titrer comme ils le souhaitent des extraits de films indiens, le PCF a récupéré les images d'un Bollywood pour retracer le parcours de François Hollande. L'histoire débute par le discours du Bourget et la fameuse déclaration du socialiste: "mon adversaire, c'est le monde de la finance", et se termine fin 2014, dans le bureau de Pierre Gattaz.
"La vidéo vérité sur les relations entre Pierre Gattaz et François Hollande, et comprendre la trahison du Bourget", est-il écrit dans la description du montage. Cela donne le ton mais est loin d'annoncer les moustaches et autres drôleries de la vidéo réalisée pour annoncer la "semaine de mobilisation contre le Medef" que le PCF organise à partir du 1er décembre.
Voici François Hollande, au Bourget puis dans le bureau du patron du Medef:
Voici Pierre Gattaz, le méchant du film:
Voici Manuel Valls:
Voici le peuple:
Et, comme toute bonne histoire sur François Hollande, le film se termine sous la pluie:
17:56 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Réseaux sociaux, Vidéo | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pcf, hollande, bollywood | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
08/10/2014
Femmes voilées devant une CAF : la photo truquée qui fait le tour du web
La photo truquée de femmes voilées devant une CAF Twitter
Cette image d’un groupe de femmes entièrement voilées faisant la queue devant une Caisse d’allocations familiales se propage sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Le site Metronews a enquêté sur cette photo. Il explique qu’elle est en fait truquée.
Le cliché circule sur Facebook et sur Twitter. Il est accompagné le plus souvent de commentaires islamophobes dénonçant les « conséquences dramatiques » de l’immigration en France. Selon Metronews, cette photo postée par @aiglemalin sur Twitter le 2 octobre dernier est fausse. Grâce à l’outil Tineye, le journal a retrouvé la photo d’origine. Il s’agit en réalité d’une image prise à Londres, sur laquelle on peut voir le groupe de femmes, non pas devant une Caf, mais plutôt devant ce qui semble être un commissariat de police. Cette supercherie rappelle l’importance de prendre du recul face aux informations circulant sur les réseaux sociaux.
La vraie photo d'origine
Article publié par la Dépêche du Midi15:21 Publié dans Actualités, Internet, Manipulation, Photos, Réseaux sociaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photos, caf, manipulation, web | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |