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12/06/2016

Les télécoms avalent la presse. Qui les arrêtera ?

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Depuis un mois, l’opérateur SFR accélère un rapprochement avec les médias qu’il détient. Une stratégie qui pose la question de l’avenir de l’information en France, sans que grand monde s’en préoccupe.

France, 2020. Les abonnés SFR peuvent consulter Libération, L’Express ou BFM quand ils le souhaitent. Tous les articles sont à portée de clics. Ceux du Monde, de L’Obs et de Télérama sont compris dans les forfaits de Free, sous l’impulsion de Xavier Niel (copropriétaire de L’Obs, dont fait partie Rue89). Quant aux abonnés Orange, ils ont le droit de consulter en illimité le dernier média en vogue, dont vous et moi ignorons encore le nom.

Voilà à quoi pourrait bientôt ressembler le paysage médiatique français. C’est en tout cas ce que croit Patrick Drahi, ancien Numericable nouvellement SFR, dixième fortune du pays, qui lançait ce 8 juin devant des sénateurs :

« J’ai trouvé un modèle économique pour l’ensemble de la presse et je pense que je serai suivi par beaucoup de gens. »

Sa stratégie ? Offrir les titres qu’il possède à ses abonnés. Avec son offre SFR Presse, Patrick Drahi relance un modèle que l’on pensait enterré avec les années 2000 et les échecs de Vivendi et AOL : la convergence entre les activités de télécommunications et des médias. Ce qui pose pas mal de questions :

  • Les médias vont-ils se retrouver de plus en plus dépendants de vendeurs de tuyaux Internet ?
  • La diffusion de l’information va-t-elle être déterminée par la seule nature des forfaits Internet ?
  • Et les nouveaux médias, condamnés à quémander une place dans l’offre d’un opérateur pour continuer à exister ?

« Aucune raison d’aller voir ailleurs ! »

Il y a tout juste un mois, SFR, le deuxième opérateur français, a donc offert à ses quelques 18 millions d’abonnés un accès gratuit à 17 journaux et magazines. Libération et les titres du groupe L’Express (dont L’Expansion, l’Etudiant ou 01.net), acquis en 2015 par la maison-mère de l’opérateur, Altice – avant d’être gobé directement par SFR.

Malgré l’arrêt de la gratuité il y a quelques jours, SFR Presse sera de toute façon compris dans la majorité des forfaits.

Facturé certes, mais sans que l’abonné ne sente passer la douloureuse, grâce à une remise et un habile montage fiscal susceptible de rapporter 350 millions d’euros à l’opérateur, estimait il y a quelques jours Europe 1.

Les militants d’un Internet libre et ouvert considèrent que SFR porte ainsi atteinte au choix des internautes. Et qu’il faudrait freiner les ambitions de l’opérateur.

Mais ils sont les premiers à reconnaître qu’ils sont bien seuls à prêcher dans le désert. Agnès de Cornulier, du collectif français La Quadrature du Net, se désole :

« Le consommateur voit, et c’est normal, son intérêt immédiat. Il ne voit pas l’enfermement de fait, commercial et technique. Ce que propose SFR, c’est un enfermement terrible : tu n’as aucune raison d’aller voir ailleurs ! »

« On est vraiment démunis »

Patrick Abate approuve. Le sénateur communiste de la Moselle est le seul, avec son collègue Jean-Pierre Bosino, à s’être inquiété du problème au Parlement. Pour lui, pas de doute, la stratégie de SFR est une « atteinte extraordinaire à la neutralité d’Internet ».

Avec son groupe, il a tenté d’ouvrir le débat au Sénat, en profitant d’une proposition de loi socialiste visant à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ». Mais ça n’a rien donné :

« Il n’y a rien de plus pour la presse dans ce texte. »

« Je ne dis pas qu’il y a le feu », nous précise-t-il, prudent, dans l’un des salons du Palais du Luxembourg, « mais on risque de laisser s’installer des choses qui ne sont pas bonnes. Il faut tirer la sonnette d’alarme. »

En séance le 26 dernier, Patrick Abate tentait une comparaison :

« C’est un peu comme si les fameux relais H [rebaptisés Relay en 2001, ndlr] ne mettaient à disposition du public que les magazines ou les livres édités par le groupe Hachette, comme si l’on ne trouvait dans les kiosques tenus par Jean-Claude Decaux que des journaux liés, d’une manière ou d’une autre, à ce dernier. Pour le coup, c’est absolument inadmissible ! »

Pour lui, l’une des solutions passe par le dépoussiérage des règles de concentration dans la presse. Un système qui dépend de textes de 1986. Une éternité à l’échelle d’Internet.

Mais ses tentatives d’amendement en ce sens sont restées lettre morte. Sa demande de rapport, rejetée.

« Sur la concentration, ça n’a pas du tout bougé. On est vraiment démunis. »

Le sénateur appelle donc « chacun à prendre ses responsabilités. » A commencer par l’Arcep.

Des offres « examinées au cas par cas »

Aussi improbable que cela puisse paraître, le gendarme des postes et des télécommunications est sur le point d’avoir des moyens concrets pour apporter quelques garanties à l’info et à sa diffusion.

Quand vous interrogez ses membres sur le sujet, il faut sortir les rames. Non pas qu’ils ne s’y intéressent pas. Mais la presse, la liberté d’expression, tout ça, ce n’est pas leur fonds de commerce. Eux s’occupent des tuyaux, et non du contenu. Et encore moins d’un contenu sensible comme la presse.

En route vers Bruxelles, où l’Arcep et ses homologues européens se sont donnés rendez-vous le 6 juin, Sébastien Soriano, à la tête de l’institution depuis 2015, m’arrête tout de suite :

« Il ne faut pas faire de plans sur la comète. »

Pourtant, il ne ferme pas complètement la porte. Si des offres comme SFR Presse ne sont « pas interdites en tant que telles », reste qu’elles seront « examinées au cas par cas », ajoute-t-il avant de préciser qu’il avisera aussi en fonction des plaintes qui lui remonteront sur le sujet.

Ces plaintes, des lecteurs, des médias, des distributeurs de presse, des associations, des concurrents de SFR... Bref, un peu qui voudra pourra les adresser à l’Arcep, en profitant de la fenêtre de tir que vient d’ouvrir un texte de l’Europe sur l’encadrement d’Internet.

« L’effet sur la liberté d’expression »

Le règlement de novembre 2015 permet, en effet, aux autorités comme l’Arcep de cadrer d’un peu plus près les pratiques des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Ils n’ont pas non plus la possibilité de faire n’importe quoi avec leurs offres commerciales. Et ça, c’est la grande nouveauté, qui a précisément occupé une grande partie de la réunion du 6 juin, à Bruxelles.

Ce lundi, l’Arcep et ses homologues ont expliqué leur compréhension des nouvelles règles s’appliquant au Net européen (soumises à consultation jusqu’au 18 juillet).

Dans le lot, un certain point 43, qu’on croirait adressé à monsieur Drahi. Il liste les critères qui seront étudiés pour avaliser une offre. Parmi eux :

  • La position sur le marché du FAI en question, ainsi que celle du fournisseur de contenu.
  • L’effet sur « la variété et la diversité des contenus » effectivement accessibles afin de voir si elles sont « réduites en pratique ».
  • L’effet réel sur l’abonné : est-il « incité » à aller sur une application en particulier ?
  • L’effet sur la concurrence : est-elle « matériellement découragée » d’entrer sur le marché, ou forcer de le quitter ?
  • L’effet sur l’innovation, en tentant de savoir « si c’est le FAI qui choisit des gagnants et des perdants ».
  • Les alternatives possibles.
  • Et le meilleur pour la fin :

« L’effet sur la liberté d’expression et le pluralisme des médias. »

Spécificité française

N’empêche, malgré cet outillage, l’Arcep reste prudente. Et ses potes européennes, plus frileuses encore : à les en croire, SFR presse est aujourd’hui une spécificité française. 

A l’issue de la réunion, Thomas Lohninger, militant autrichien au sein de l’Initiative für Netzfreiheit qui a été consulté sur ce dossier, s’emporte :

« Ce n’est pas seulement la presse mais le pluralisme des médias ! L’égalité d’accès à l’information ! C’est pour ça qu’il faut se battre pour avoir des règles générales et non du cas par cas ! Les autorités ne sont pas courageuses, elles ne décideront pas seules. »

Les alliés se font rares

Quand bien même elle le souhaiterait, l’Arcep ne s’engagera pas dans une bataille qui croise intérêts économiques énormes et écosystème médiatique en syncope sans un soutien de poids. Mais les alliés se font rares.

La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), également tenue par l’Europe de faire respecter l’ouverture d’Internet, dit « ne disposer d’aucun élément sur ce sujet ». 

Quant à l’autorité de la concurrence, qui a autorisé en 2015 le rachat de Libération et du groupe L’Express par Altice, elle indique ne pouvoir « donner des informations sur une éventuelle saisine en cours » sur le sujet. Mais se dit « très vigilante sur les engagements de Numericable. »

Du côté des ministères, le sonogramme est tout aussi désespérément plat. Malgré nos sollicitations répétées depuis plus d’un mois, la Culture n’a jamais répondu a nos questions. Même chose du côté du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, que l’on disait pourtant en charge du dossier concentration en 2014.

Le seul frémissement, léger, vient du côté d’Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au numérique, dont le cabinet fait savoir qu’elle suit « la question avec attention ». Ajoutant, prudent :

« Mais il est prématuré de tirer des conclusions concernant le dossier Altice. »

Pour le sénateur Abate, le désintérêt des politiques est d’autant plus absurde que la stratégie de SFR pose, en plus du reste, la question des aides publiques à la presse, qui alimentent désormais de fait les montages fiscaux de l’opérateur.

Impossible à désactiver

Chez Altice, on poursuit la stratégie du Blitzkrieg  : avancer, au plus vite. SFR a ainsi annoncé dès son lancement que son offre serait totalement ouverte. Côté contenu, à d’autres titres de presse, ne lui appartenant pas ; côté tuyaux, à d’autres opérateurs. Histoire d’anticiper les retours de bâton de l’autorité de la concurrence, qui a déjà fait savoir qu’elle n’appréciait que modérément les contrats d’exclusivité. Et de contrer l’idée qu’un préjudice est ici fait à la diversité du Net français.

Reste que, contrairement aux abonnés SFR, la clientèle de la concurrence devra effectivement débourser 19,90 euros pour accéder à l’application média des opérateurs – une possibilité qui, au passage, n’est toujours pas activée. Et il est vrai que les utilisateurs de SFR pourront toujours consulter d’autres médias via une recherche sur Google. Mais qui, vu l’appétence actuelle pour la presse, prendra la peine d’aller voir ailleurs ?

Sans compter que pour certains clients mobiles, l’application SFR presse est impossible à désinstaller, rapportait il y a quelques jours le site Next Inpact. Et l’offre, impossible à désactiver. On revient à l’idée de départ : une incitation, si ce n’est un enfermement, dans un contenu restreint.

« 12 millions de personnes »

Du côté des rédactions, on moufte peu ou pas trop fort. A l’image de Laurent Joffrin, certains voient la proximité avec SFR comme une opportunité. La promesse d’un modèle économique.

La Société des journalistes et du personnel de Libération s’est dit vigilante quant « aux conséquences de ce rapprochement » avec SFR. Pointe le « risque » de « devenir dépendant d’un diffuseur numérique, d’autant plus qu’il s’agit de [l’] actionnaire majoritaire ».

A L’Express, la Société des journalistes (SDJ) a demandé à rouvrir une clause de cession après le rachat de SFR. Mais les actionnaires n’ayant pas changé entre la fille SFR et la mère Altice, cette requête a peu de chances d’aboutir.

Au Sénat, Patrick Drahi se réjouit :

« Les titres qui sont disponibles sur l’application SFR sont visibles par 12 millions de personnes. Ça ne veut pas dire que 12 millions de personnes les regardent tous les matins, mais des centaines de milliers les regardent tous les matins, quand ils n’étaient que quelques milliers il y a trois, quatre mois. »

« Motif de conflit social »

Pendant ce temps-là, dans les rédactions, la convergence se renforce. Ce 7 juin, SFR lançait ainsi un portail d’information, SFR News. Qui reprend, sans renvoyer aux titres, des articles de L’Express, 01 Net ou BFM – SFR possède également 49% du groupe de BFM et RMC, NextradioTV. Le portail propose aussi du contenu inédit.

Des journalistes viennent même d’être embauchés pour l’occasion au sein de BFM et L’Express. Libé, pour le moment, n’est pas concerné. Cette demande serait de toute façon « un motif de conflit social », estime un journaliste, qui dit :

« On n’est pas là pour développer la marque SFR. On est là pour développer la marque Libération. »

Sources Rue 89

12:52 Publié dans Actualités, Dossier, Manipulation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télécoms, presse, dossier, manipulation | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |

10/06/2016

«Aujourd’hui ce sont les milliardaires qui vous informent»

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La concentration des médias bat son plein dans le monde et en France. La finance et les grands industriels du CAC 40 investissent dans la presse, dans l’audiovisuel et dans les télécoms. Comment faire vivre un journal comme l’Humanité dans cet univers ?

Peut-il encore exister des journaux indépendants des pouvoirs financiers ? Ce n’est pas qu’une question de moyens, c’est avant tout une question politique. Aujourd’hui, des titres comme l’Humanité, la Croix, le Monde diplomatique, Politis, ou encore la Marseillaise (…), indépendants des entreprises du CAC 40, doivent démultiplier des trésors d’imagination pour vivre. Paradoxe, les quotidiens qui perçoivent le plus d’aides à la presse sont aussi ceux qui sont adossés aux milliardaires de ce pays.

Le phénomène est global. Tous les continents sont touchés par la concentration des médias. En quelques années, de nouveaux acteurs, souvent de l’Internet et des télécoms, de riches industriels sont venus bouleverser l’univers médiatique et mettre la main sur l’information mondiale. Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières (RSF), qui estime que la concentration des médias n’a jamais été aussi forte dans le monde, relève qu’aux États-Unis, 6 groupes (GE, News Corp, Disney, Viacom, Time Warner, CBS) possèdent 90 % des médias. Ils étaient une cinquantaine de « compagnies » en 1983. Comment ne pas penser que cette mainmise sur la diffusion culturelle menace le pluralisme et d’indépendance de l’information ? Dans l’ouvrage 100 Photos pour la liberté de la presse, photographies de Sebastiao Salgado, tout juste en vente, Reporters sans frontières, sous le titre « Les oligarques font leur shopping », pointe les fortunes qui, en Inde ou en Chine, en Russie ou aux États-Unis, ont acheté à tour des bras et de façon boulimique des moyens d’information.

Seuls les quotidiens la Croix et l’Humanité sont indépendants

En France aussi, selon ce rapport, une poignée de milliardaires contrôle 90 % des médias. De nouveaux acteurs, aux stratégies d’acquisition très agressives, ont fait leur apparition comme Vincent Bolloré, Xavier Niel ou Patrick Drahi. 57e fortune mondiale, 3e française, Drahi pèse plus de 20 milliards d’euros. Le chiffre d’affaires du groupe Altice, qu’il a fondé, représentait, en 2014, 13,5 milliards d’euros. À la tête du câblo-opérateur Numericable, l’homme d’affaires a acquis l’opérateur SFR, mis sur le marché par Vivendi, multiplié les rachats dans le câble, la téléphonie mobile et l’Internet. Et le groupe, par l’intermédiaire de sa filiale Altice Media Group, est devenu l’un des principaux acteurs financiers du marché de la presse et des médias. L’Express, l’Expansion, Libération… une vingtaine de magazines sont passés sous sa coupe. BFMTV, RMC, du groupe NextRadio, suivent le chemin qui mène à Drahi, lequel poursuit ses emplettes à coups de réduction des coûts et de plans sociaux, tout en s’endettant (40 à 45 milliards d’euros). Le résident suisse possède la chaîne d’information israélienne i24news, basée à Tel-Aviv, dont le patron des rédactions est aujourd’hui Paul Amar, ancien journaliste de la télé française.

« Aujourd’hui, en France, avance Michel Diard, journaliste, docteur en sciences de l’information et de la communication, cinq des sept quotidiens nationaux sont la propriété de quatre des dix plus grandes fortunes du pays : la première (Bernard Arnault) contrôle les Échos et le Parisien, la cinquième (Serge Dassault), le Figaro, la sixième (Patrick Drahi), Libération, la dixième (Didier Niel), le Monde ; seuls la Croix et l’Humanité sont indépendants des milieux industriels et financiers. Le constat ne s’arrête pas aux quotidiens nationaux ; l’audiovisuel privé (chaînes de télévision et de radio), la presse magazine et la presse spécialisée sont contrôlés par des conglomérats industriels ; la presse régionale est, elle, sous l’étroite dépendance des banques, le Crédit mutuel et le Crédit agricole essentiellement. »

Les faits de censure et d’autocensure se multiplient

Depuis le rachat du Figaro par l’avionneur Serge Dassault en 2004, puis, en 2007, des Échos par le leader du luxe Bernard Arnault, on a changé d’époque. Arnault rachète Investir, le Monde de la musique, Radio Classique, puis, plus récemment, le Parisien-Aujourd’hui en France au groupe Amaury. Un trio d’actionnaires – Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse – va, lui aussi, faire parler de lui en investissant 110 millions d’euros dans le rachat du Monde. Niel, le fondateur de Free, et Pigasse, codirecteur de la banque Lazard et propriétaire des Inrockuptibles, se joignent au milliardaire Pierre Bergé pour acquérir le Monde, qui a déjà mis la main sur les publications de la Vie catholique (Télérama, la Vie). Le Monde acquiert avec sa nouvelle équipe le Nouvel Observateur, devenu depuis l’Obs, ainsi que Rue89.

Les plus grands magazines français, l’Express, l’Obs, le Point, Paris Match, appartiennent tous à des milliardaires, dont certains vivent de commandes de l’État et sont proches des pouvoirs. Parmi eux, Vincent Bolloré, l’homme qui a prêté son yacht, le Paloma, à Nicolas Sarkozy juste après l’élection présidentielle de 2007. Bolloré est aujourd’hui à la tête d’un groupe diversifié qui fait aussi bien dans la voiture électrique, le commerce en Afrique ou dans les médias. Vincent Bolloré est devenu le premier actionnaire de Vivendi, en a pris la présidence du conseil de surveillance, avec elle celle de Canal Plus. Dès sont arrivée, il ne s’est pas privé de mettre son nez dans les programmes et a renouvelé quasiment toutes les directions. Les Guignols sont passés en crypté, avant une mort prochaine. Des têtes tombent ou vont tomber, comme celle de Patrick Menais, le M. Zapping, coupable d’avoir passé des extraits d’une enquête sur l’évasion fiscale du Crédit mutuel, diffusée sur France3 après avoir été interdite sur Canal Plus. Le magazine Spécial Investigation voit également nombre de ses sujets retoqués. Aujourd’hui, comme le dit Michel Diard, ex-secrétaire général du SNJ-CGT, ce sont « les milliardaires (qui) vous informent ».

Pourquoi une telle concentration ? On se souvient qu’en son temps, Nicolas Sarkozy avait souhaité, en 2008, à la suite des états généraux de la presse écrite, la constitution de « champions nationaux », pour faire face aux géants mondiaux de l’Internet, les fameux Gafa – Google, Apple, Facebook et Amazon –, dont le profit est la priorité et le formatage des esprits, une règle commerciale.

Dans ce contexte, les temps sont durs pour une presse écrite fragilisée par les bouleversements numériques et plus encore pour celle qui porte les alternatives au libéralisme. Les faits de censure et d’autocensure se multiplient à mesure que les médias se concentrent entre quelques portefeuilles. La bataille du secret des affaires, du secret des sources bat son plein pour y résister. La Commission européenne va étudier une directive liberticide sur le secret des affaires. Si elle avait été en vigueur, le scandale fiscal planétaire dit Panama Papers ne serait jamais sorti. Car la stratégie des grands financiers d’avaler tous les groupes de presse est claire : faire taire le contre-pouvoir à rengaine libérale « Il n’y a pas d’alternative ». Nous voulons croire que si.

Claude Baudry l'Humanité

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09/02/2016

"Sept milliardaires contrôlent 95% de la production journalistique"

arfi.jpgMédias le Mag, l'interview l Fabrice Arfi

Nouvelles censures". Qu'est-ce qui a changé, qu'est-ce qui est vraiment nouveau ?
En fait, si on a réussi à mettre autour de la table une quinzaine de journalistes - c'est une première en France ! - et que nous avons appelé ça les nouvelles censures, c'était pour trancher un peu avec l'idée que l'on peut avoir de la vieille censure ORTF, verticale. Elles sont nouvelles parce qu'elles sont parfois insidieuses, comme l'époque. Et donc elles sont pires ! Ce que nous essayons de décrypter, en révélant les coulisses d'enquêtes célèbres, de manière très factuelle et sobre, c'est un écosystème pourri en France sur la liberté d'informer. Ce n'est pas un geste corporatiste de journalistes qui disent "Laissez-nous faire ce qu'on veut, et si possible n'importe quoi". Ce qu'on essaye d'expliquer, c'est qu'on vole quelque chose au citoyen, quelque chose de culturel et démocratique qui est consacré par les Nations unies, la Déclaration des droits de l'Homme, notre constitution...

Vous dîtes qu'il faut changer la loi sur la presse...
Il faut tout changer ! On est dans une concentration historique des médias en France. Sept milliardaires dont le coeur d'activité n'est pas l'information - c'est de vendre des armes, de faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque, Bolloré c'est un peu tout - ont entre leurs mains 95% de la production journalistique. Et leur chiffre d'affaires dépend pour partie de leurs rapports avec le gouvernement français ou les Etats étrangers. On a une loi de la presse qui ne défend pas suffisamment la liberté d'informer. Et on a un accès aux documents administratifs qui est pitoyable en France. Tout cet écosystème-là est à repenser de fond en comble, parce qu'on est dans un moment extrêmement inquiétant où, derrière les discours, s'érige un mur institutionnel, légal, judiciaire, politique de l'opacité.

C'est plus dur de résister aujourd'hui malgré la démultiplication des canaux d'information ?
On ne peut pas se satisfaire de ce qui se passe en France. Bien sûr, on ne meurt pas d'être journaliste en France. On n'est pas en Russie ou au Congo. Pour autant, nous ne sommes pas une démocratie qui répond aux canons en la matière. Et c'est notre devoir d'interroger ce monde bizarre qui nous entoure et d'essayer de comprendre pourquoi nous volons au citoyen son droit de savoir. C'est un bien fondamental !

"Le silence des politiques est désespérant"

Invité du "Supplément" il y a quelques semaines, Nicolas De Tavernost affirmait ne pas pouvoir "supporter qu'on dise du mal" des clients de M6. L'argent de la pub sur les grands médias, c'est un levier efficace pour faire taire les journalistes ?
Vous vous rendez compte dans quel pays on est ? Le patron d'une grande chaîne peut aller dans une émission de télé et dire "Oui, je censure". Si ses clients sont des gens qui truquent des marchés publics ? Si ses clients, c'est Volkswagen ? Si l'émission "Capital" avait eu le scoop sur le scandale mondial, ça ne sortirait pas ? On volerait ça au citoyen ! Je trouve ahurissant qu'un patron de chaîne puisse venir dire ça sans qu'il y ait de réaction.

Comment expliquez-vous le silence du gouvernement ? On dit Vincent Bolloré proche de Nicolas Sarkozy mais récemment, Fleur Pellerin l'a défendu sur France Inter et François Hollande dit de lui selon L'Express qu'il a "l'énergie des grands capitaines d'industrie"...
C'est désespérant. Il y a une autorité de régulation qui s'appelle le CSA, et de voir un monde politique qui ne considère pas ce que nous disons sur la liberté d'informer comme un droit fondamental qu'il faut à tout prix défendre... On ne peut pas s'habituer. Je crois vraiment que les citoyens ont faim de savoir, mais du côté de la classe politique, on n'a pas vu un tweet ou un une déclaration d'un homme politique qui s'alarme de tout ça. Ca nous tend un miroir qui est désespérant.

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24/01/2016

Pujadas face à Sarkozy sur France 2 : le journaliste a commis une faute professionnelle

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Nicolas Sarkozy était l'invité du 20 heures de France 2, mercredi 21 janvier. L'ancien chef de l'État y a listé quelques propositions pour lutter contre le terrorisme. Mais c'est la prestation de David Pujadas qui a retenu l'attention de notre chroniqueur Bruno Roger-Petit. Le présentateur de France 2 n'a pas fait honneur au journalisme et à l'interview politique, explique-t-il.

Contemplant l'entrevue Nicolas Sarkozy/David Pujadas, on a longtemps cru que France 2 avait décidé de rediffuser un journal télévisé de 2007. Ou 2008. Ou 2009. Ou 2010, 2011, 2012...

Sans les "questions" posées, en rapport avec l'actualité, on pouvait se méprendre, tant on avait le sentiment de renouer avec les interviews de complaisance qui sont la marque de fabrique journalistique de David Pujadas dès qu'il se retrouve face à Nicolas Sarkozy.

 À quoi reconnait-on l'interview de complaisance, celui qui exhale la connivence et la révérence à chaque question posée ? En ce que les questions commencent le plus souvent par : "Que pensez-vous de", "Quel est votre regard sur...", "Comment jugez-vous ?"...

Le procédé est vieux comme le monde. On pose une question qui permet à l'interviewé de dire ce qu'il a envie de dire. L'important n'est pas de chercher une vérité, mais d'offrir à l'interlocuteur l'occasion de délivrer la sienne. Et tant pis s'il ment, on n'est pas là pour corriger, on est à la télé publique.

Pujadas ne fait pas son travail

Face à Nicolas Sarkozy, David Pujadas s'est surpassé, endossant sans broncher le costume de Michel Droit de l'ère information 2.0.