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06/12/2014

Bruno Masure : David Pujadas a "une vision libérale et très à droite

bruno-masure-25-03-2014.jpgDavid Pujadas invité de Jean-Marc Morandini sur Europe 1 :

 "le JT de France 2 fait beaucoup trop la part belle aux faits divers crapuleux, dans l'espoir (souvent déçu) de "draguer" les téléspectateurs en les caressant dans le sens du poil.

Le JT de France 2 est d'avantage racoleur que TF1, ce qui est paradoxal.

J'ai connu une rédaction de la 2 très à cheval sur les principes déontologiques et qui avait une très haute idée de sa "mission" . Hélas, le service public se dévoie, ce qui motive mes colères, parfois excessives .

PUJADAS.pngQuant à Pujadas, il suffit d'observer ses choix éditoriaux à la rubrique "économie" pour constater qu'il a transformé le journal du service public en officine de propagande néo libérale, avec un matraquage subtil, répétitif et totalement assumé.

Par le biais (tordu et hypocrite) de comparaisons avec l'étranger, pas un soir sans un sujet sur : la moindre productivité des fonctionnaires français, les "privilèges" des assistés ou des étrangers sur notre sol, l'intérêt du travail le Dimanche, la malfaisance de notre système fiscal, les (bonnes) raisons de l'exode des jeunes français à l'étranger, etc etc.

Bref, tous les thèmes chers au MEDEF et à l'UMP , mais c'est - sûrement ! - un hasard …

Quant aux émissions politiques, elles trop souvent font la part belle aux idées du FN et de la droite de la Droite, avec une véritable fixette sur les problèmes liés à l'immigration et l'insécurité.

Mais c'est aussi -sûrement - un hasard ."

09/11/2014

LAURENT MAUDUIT : "COMMENT LES ECONOMISTES MEDIATIQUES NOUS ENFUMENT"

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Laurent Mauduit est cofondateur de Mediapart, journaliste économique, d’abord à Libé puis au Monde. Dans Les Imposteurs de l’économie (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2012), il analysait et dénonçait les connivences entre les « grands médias » et les économistes néolibéraux, devenus grands gourous médiatiques de la pensée unique.

Dans son livre À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (éd. Don Quichotte, 2014), il boucle la boucle en expliquant, preuves à l’appui, comment le peuple de gauche s’est fait avoir.

Dans Les Imposteurs de l’économie, vous décortiquez le système des « économistes » derrière lequel se cachent les financiers. Depuis cette analyse, les noms ont peut-être un peu changé, mais les pratiques sont-elles encore là ?

Le livre a secoué certains milieux intellectuels. J’y raconte la consanguinité entre les économistes les plus médiatisés, censés être des intellectuels travaillant à l’Université, et qui deviennent en fait des agents de propagande des banques et des assurances placés au cœur du système et du politique. Ça, ça n’a quasiment pas changé.

Quand il y a une crise, il est très important que les citoyens puissent entendre la parole de gens qui ont sur leur matière des points de vue différents mais indépendants. Or beaucoup d’entre eux ont été corrompus précisément par le système qui a conduit à la crise. En théorie, la loi protège l’indépendance des universitaires. En clair, elle leur interdit de siéger dans le conseil d’administration d’une entreprise privée ou d’avoir une mission rémunérée par celle-ci sans avoir eu l’autorisation préalable de leur supérieur hiérarchique, ce qui n’est jamais fait. Il y a une sorte de jurisprudence qui s’est installée pour une cinquantaine d’économistes, une sorte de système de corruption généralisée. Ils sont entre 40 et 50 économistes surmédiatisés (sur 3 000 ou 4 000 économistes en France, scandalisés voire traumatisés par ces pratiques) à s’être transformés en lobbyistes de leurs employeurs privés.

Le plus connu d’entre eux, Daniel Cohen, a été embauché par la banque Lazard, LA banque d’affaires du capitalisme de connivence français, qui est au cœur de tous les deals financiers et industriels depuis vingt ans. Il gagnait, en 2011, entre 10 et 20 fois plus que ce qu’il gagne à l’École normale supérieure (ENS) !

La formation des économistes est-elle en cause ?

Il y a une OPA de la finance sur les milieux intellectuels et c’est un danger. La loi de 2006 a autorisé les grandes universités à créer des fondations et des chaires financées par les grands groupes, comme L’Oréal, Axa, Total, BNP Paribas, Crédit agricole… C’est une bombe logée au sein de l’université française qui risque de conduire à un éclatement de l’université dans les disciplines économiques : avec une université de luxe sous la coupe du privé disposant de rémunérations considérablement supérieures à celles de la fonction publique ; et une université du pauvre abandonnée au public avec des professeurs sous-payés.

Alors que le traitement d’un professeur en fin de carrière avoisine les 5000 euros par mois, les bénéficiaires d’une chaire sénior à l’École d’économie de Toulouse, très liée au privé, ont une rémunération trois à quatre fois supérieure. D’évidence, l’indépendance de la recherche est en danger.

Pourquoi et comment ces économistes ont-ils pris un tel pouvoir ?

Au cours de mon enquête, j’observe aussi qu’une partie des journalistes est dans ce même système de corruption. Je prends l’exemple d’une grande émission qui est totalement à pensée unique, la pensée unique néolibérale, qui est C dans l’air, d’Yves Calvi. Les seuls économistes invités sont précisément ceux dont je parle dans mon livre, ceux qui siègent au CA des banques, etc. et qui, de fait, médiatisent « l’économie » de leurs clients. Ils sont invités non-stop, partout, dans tous les médias. On ne voit qu’eux pratiquement, on n’entend qu’eux, ils nous expliquent la crise et ses solutions à leur manière, néolibérale. Un scandale. Parmi ceux que l’on entend et voit partout, il y en a qui sont présentés comme économistes alors qu’ils ne le sont même pas, comme Marc Fiorentino qui détenait lui-même une société de placement en Bourse et qui avait fait l’objet de trois sanctions de l’Autorité des marchés financiers. Craignant qu’on lui retire son agrément, il a dû changer l’objet de sa société. Ce qui est très grave, c’est qu’une grande partie des journalistes économiques s’est couchée et a accepté ces mœurs. Un naufrage…

Comment expliquez-vous cette dérive, ce manque de pluralisme ?

Une des raisons pour lesquelles on n’entend pas les différences, le pluralisme, c’est que la grande presse l’interdit. On sort de la Libération avec des principes de presse édictés par le Conseil national de la résistance, dont l’indépendance de la presse, et tous les journaux se construisent sur ce modèle-là. Chacun à sa façon crée les conditions de son indépendance. Et que vit-on dans le courant des années 2000, avec une tendance qui s’accélérera sous Sarkozy ? La remise en cause de ce principe. C’est l’histoire du Monde, de Libé, des Échos, de toute la presse quotidienne nationale.

On assiste d’abord à une normalisation économique. Les formes de propriété sont balayées, les journaux sont rachetés, croqués par des oligarques, et après cette normalisation économique suit une normalisation éditoriale, où des journaux, sans être corrompus, deviennent des journaux sans âme, vidés de leur contenu. Cette double normalisation de la presse accompagne la normalisation des économistes, l’OPA de la finance sur le monde académique et économique, et fait que la presse n’est plus le lieu du débat pluraliste en économie.

On est en fait dans une société assez proche de celle du Second Empire. Regardez ce qui se passe sous Napoléon III : un pouvoir fort, pas de contre-pouvoir, le Parlement est méprisé, la presse est rachetée par des oligarques… Je pense qu’on n’est pas dans un État de droit ; je pense que la France est un pays malade et que ce système de remise au pas de la presse et des économistes a été beaucoup plus loin que dans d’autres démocraties… Imaginez-vous qu’aux États-Unis, pays libéral s’il en est, le plus grand quotidien économique soit la propriété du plus grand patron du pays ? On est dans un système de capitalisme de la barbichette : « Je te tiens, tu me tiens, on se rend des services mutuels et les journalistes ne vont pas nous emmerder ! »

On ne comprend pas pourquoi les politiques, et notamment un PS à l’agonie, continuent de mener ces politiques-là…

Je pense qu’il y a deux réponses. Un, le basculement progressif des années 80-90 vers un capitalisme plus tyrannique a fait que le réformisme classique a été asphyxié. Hollande reprend le flambeau là où Jospin l’a laissé : en 2002, Jospin, arrivé en 1997 avec un programme très à gauche, dira : « Mon projet n’est pas socialiste. » Hollande, lui, passe carrément de l’autre côté, où le réformisme n’a plus sa place. Il y a une prééminence totale du capital sur le travail.

Seconde réponse : dans ce mouvement-là, la corruption a gagné jusque dans les rangs du PS et une partie du personnel politique a été totalement gangrénée par le camp adverse ! Regardez sur qui s’appuie François Hollande : Jean-Pierre Jouyet dont toutes les convictions sont à droite, qui pense « qu’il faut aller vers davantage de flexibilité et des boulots qui ne sont pas forcément payés au Smic », dont les réseaux personnels sont des amitiés avec les banquiers d’affaires.

Emmanuel Macron, devenu ministre de l’Économie et remplacé en tant que conseiller économique de Hollande par Laurence Boone, membre du Cercle des économistes (l’un des cénacles mondains et parisiens de la pensée unique), chef économiste chez Bank of America Merrill Lynch, puis dans le groupe du milliardaire François Pinault (qui estimait que le Président n’en faisait pas assez en faveur des milieux patronaux)… Il y a une porosité très forte entre certains milieux socialistes et les milieux financiers qui fait que certains d’entre eux ne se posent même plus la question. Ils sont dans une bulle et ne devinent même pas les souffrances sociales du pays.

Le Parti socialiste se retrouve à gérer un capitalisme qui ignore le compromis social. Il y a donc un effet d’essoufflement et on assiste sans doute à la mort d’un parti vieux d’un siècle. Il y a un autre aspect : c’est que cette mort intervient dans un système français très oligarchique, et ça a à voir avec nos économistes corrompus. Quelques oligarques professent les mêmes fausses évidences néolibérales quelles que soient les alternances.

Je les appelle les « intellectuels essuie-glace » parce que, que ce soit la gauche ou la droite, eux, ils restent toujours en place. De ce point de vue-là, l’histoire d’Attali et de son bras droit Emmanuel Macron est révélatrice. Le premier rapport Attali paraît en janvier 2008 alors que la crise est déjà visible. Écrit par Macron – c’est lui le rapporteur, c’est lui qui tient la plume –, il explique que la France devrait suivre l’exemple des « grands pays qui ont su faire des efforts » : le Portugal, l’Espagne et la Grèce ! L’alternance arrive et Macron change de train. Je le rencontre en septembre 2011 et il me dit : « Moi, je suis prudent. Jean-Pierre Jouyet (ex-ministre de Sarkozy, qui faisait alors campagne pour Hollande) est maladroit. Lui et moi, dans l’opinion publique, on est toxiques pour Hollande, il ne faut pas qu’on nous voie. » Ça m’intrigue quand il me dit ça. Mais il y a plein d’autres journalistes qui voient qu’Hollande travaille avec Macron au moment même où il dit : « Mon adversaire, c’est la finance ! » On aurait dû être plus vigilants.

Le reniement, la trahison, la volte-face de Hollande étaient déjà perceptibles, et c’est au cœur même de cette histoire d’économistes corrompus. Notre système, une démocratie anémiée, sans contre-pouvoir, fait que l’oligarchie est particulièrement forte. Même le prix Nobel d’économie Paul Krugman, démocrate modéré, écrit dans le New York Times* : « Ce qui me choque chez Hollande, c’est qu’il souscrive désormais aux doctrines de droite pourtant discréditées. Comme les autres, il s’est soumis, soumission qui vire désormais à la faillite intellectuelle. »

Et ces idées discréditées, celles que la droite a toujours défendu et qui constituent le credo de Hollande, vous les connaissez : c’est que la dette publique est trop forte.

C’est l’un des exemples types des ravages de la pensée unique. Les Français vivent avec l’idée qu’on leur serine à longueur d’émission : le pays vit au-dessus de ses moyens. On dépense trop, les dépenses sociales sont trop importantes, donc il faut que chacun fasse des économies, et l’État lui-même… d’où les 50 milliards d’euros d’économies, un montant totalement hors normes.

En fait, quand on étudie les chiffres – ceux du rapport de Gilles Carrez (UMP) en 2011–, ils montrent que s’il n’y avait pas eu de baisse d’impôt de 2000 à 2010, la dette publique serait à 60 %. On serait un bon élève, juste au plafond du critère de Maastricht, pas besoin de plan d’austérité. Or ces baisses d’impôts, c’est quoi ? C’est à 60 % des baisses d’impôts sur le revenu. Par définition, ça touche les 50 % des Français qui ont le plus d’argent. On a donc assisté sur dix ans à un immense système de transfert de revenus : les riches s’enrichissent et on veut le faire payer aux pauvres sous la forme d’un plan d’austérité.

Je pense qu’on vit la mort de la gauche, et que Hollande a promu au sommet les fossoyeurs, celui – Valls – dont Montebourg disait : « Il n’a qu’un pas à faire pour passer à l’UMP. » Il n’y a plus aucune différence.

On est quand même étonnés qu’il n’y ait pas un économiste ou un politique qui s’élève contre ce système, même si ça commence à râler chez les frondeurs…

Ce qui est quand même rassurant, c’est que la grande collectivité des économistes a résisté à cette évolution-là. La grande masse a vécu cette évolution avec indignation et il y a des poches de résistance, Attac, Les Économistes atterrés qui proposent des solutions différentes, plus adéquates.

CATHERINE SINET
avec THIBAULT PRÉVOST

* Du 19 janvier 2014, deux jours après la conférence de presse de Hollande donnant le coup d’envoi de son Pacte de responsabilité.

Paru dans Siné Mensuel N°35 - octobre 2014


A tous ceux qui ne se résignent pas à la... par LCP

23/12/2012

Pierre-Louis  Basse : "Dans notre société, les journalistes doivent s’engager"

internet, entretien, journalisme, audiovisuel, pierre-louis basse, europe 1Entretien réalisé par l'Humanité. Pierre-Louis Basse a remporté un succès critique et public avec son livre Gagner à en mourir. De retour à l’antenne sur la chaîne Sport 365, sur Internet, il livre avec gourmandise son actualité. Et pose un regard sans complaisance sur les médias français.

Vous avez deux livres en écriture…

Pierre-Louis Basse. Je travaille sur deux livres. Le premier est un roman, à partir d’une histoire d’amitié de Jesse Owens avec le sauteur en longueur Lutz Long, le héros allemand que toute l’Allemagne d’Hitler attendait. C’est une histoire extraordinaire en noir et blanc. Mon second ouvrage m’excite, il portera sur les racines familiales, industrielles et politiques de l’extrême droite.

Et la chaîne Sport 365

Pierre-Louis Basse. C’est une très belle aventure, qu’il faut mettre au crédit de Patrick Chêne, et de toute l’équipe autour d’Arnaud de Courcelles, le rédacteur en chef. Il avait envie de mettre en place un grand magazine, chaque soir de la semaine, avec quatre présentateurs différents (Philippe Vandel le lundi, Jean-Philippe Lustyk le mardi, Benoît Maylin le mercredi et Pierre-Louis Basse, de 22 heures à minuit le jeudi – NDLR). Ce qui m’intéressait, c’est de travailler autour de la mémoire du sport. Depuis trois mois, j’ai reçu Bernard Chambaz, Bernard Pivot, Philippe
 Bordas, Finkielkraut. Nous avons abordé le sport sous le nazisme, splendeur et misère du sport au cinéma… Ma vie, c’est la radio et l’écriture, je ne suis pas un homme de télé, d’image. Mais je suis heureux le jeudi soir, l’équipe est très jeune et très curieuse, très chouette. J’y ai carte blanche. Un an après avoir quitté Europe 1, c’est une vraie belle lumière. Je n’oublierai jamais la main que m’a tendue Patrick Chêne et la liberté que j’ai. J’invite vraiment tous ceux qui aiment le sport, qui ne se satisfont pas du bruit, de la seule répétition des matchs et surtout de la vulgarité des commentaires sportifs, à regarder cette chaîne sur Internet. Où ce sont des valeurs de dignité, de sens, qui nous guident. Patrick voulait faire ça, et il est en train de réussir son pari.

Parce que ça a été un gros désert après 
votre départ d’Europe 1 ?

Pierre-Louis Basse. Je suis très heureux et je vis très bien sans Europe 1. Il n’y a aucun souci, je ne suis plus fâché. Un gros désert ? Non. J’écris, on publie mes livres, le dernier a très bien marché auprès du public. Je ne suis pas comme les filles de Moulinex, qui se font jeter à soixante ans et qui n’ont ni argent ni travail. Mais la radio, c’est ma vie.

Dans vos dernières interviews, vous donnez 
le sentiment de ne retenir des médias existants que du bruit et de la confusion…

Pierre-Louis Basse. Pas partout. Il y a des choses qui restent encore dignes. Par exemple, le matin, je me gave du journal de Patrick Cohen sur France Inter, qui est remarquable, du travail de Pascale Clarke. Il y a plein de très belles émissions sur le service public. J’aime bien le travail de Franck Ferrand sur Europe 1, c’est très digne, et avec un contenu de haute volée. Il ne s’agit pas de dire que tout vaut tout. Mais on a abdiqué, il y a quinze ou vingt ans, une partie de notre devoir. On n’est pas journaliste uniquement pour montrer sa gueule ou donner sa voix à entendre. On est dans une société qui bouge, qui vit, ça veut dire de l’engagement, une prise de risque. Ou alors, on sera éternellement dans la pâmoison devant Zola, devant Hugo. Mais avec nos contemporains ?

Mais il y a un credo, depuis au moins deux décennies, sur la prétendue objectivité, 
voire neutralité du journaliste…

Pierre-Louis Basse. C’est une illusion, ça. Nous avons tous notre propre subjectivité. C’est ce que je défends, et qui m’a coûté ma place à Europe 1. L’objectivité, c’est déjà un engagement sourd et plein d’hypocrisie. Je veux citer un seul exemple : si les journalistes n’avaient pas abdiqué, nous n’aurions pas cédé à la monomanie de l’expert. Qui sont des gens qui viennent vous voir le lundi et disent rouge, le mardi violet, le mercredi rose bonbon… Si l’on veut comprendre le monde, il faut pouvoir s’appuyer sur des gens qui en ont une lecture, des historiens, des philosophes, des écrivains. Le métier a abdiqué de ce point de vue.

Qui dans le métier ? Les gens qui dirigent l’audiovisuel ? Le journaliste de base ? 
Est-ce que les conditions économiques désastreuses dans lesquelles s’exerce notre métier ne participent pas, aussi, à une mise sous pression des individus ?

Pierre-Louis Basse. C’est un mélange de tout ça. C’est une pipolisation. Ce sont des connivences de réseau, de salon, les jeux de chaise musicale : un jour tu fais de la radio, le lendemain de la télé. Il y a une nomenklatura. Ceux qui dénonçaient l’Union soviétique ont créé la même structure dans nos sociétés hyperlibérales : il ne s’agit plus de la qualité au service du plus grand nombre, mais de quelques-uns qui se gavent. Et qui exploseront. Ce sont des signes que nous avons dans l’audiovisuel, mais aussi dans l’économie et le social. Ça ne pourra pas durer. Le FN naît aussi de ce qu’on offre du point de vue intellectuel et politique. Il n’est pas normal par exemple de voir très peu de gens de l’Huma, depuis des années, sur les plateaux ou dans les studios ? Ils ont peur de quoi ? De quelle parole ?

Vous critiquez beaucoup le recours systématique aux chroniqueurs, qui induisent selon vous une certaine forme d’hystérie.

Pierre-Louis Basse. On est passé d’un rire subversif à la Desproges, à une galerie des grimaces. Et le rire, dans l’émission, est tellement fort qu’il finit par pratiquement mordre sur l’éditorial. Et c’est aussi vrai avec le sport, la politique. Pour moi, ça s’appelle le fascisme froid, ça. L’expression est de Houellebecq et elle est tout à fait juste.

Et Internet ?

Pierre-Louis Basse. Il y a un flux d’infos. Il y a toute une jeunesse malicieuse qui va chercher du contenu culturel en ligne. On l’a vu dans les révolutions arabes, d’ailleurs. Certains blogs n’ont rien à envier à ce qui se passe sur certains plateaux de télévision. La télévision, c’est tellement effrayant qu’il ne restait qu’à décider comme Pflimlin : mettre Taddeï sur France 2... À l’inverse, lors de la campagne de pub de D8, j’ai quand même vu des slogans comme « se distraire ou mourir » ! Au secours ! D’où le besoin d’inventer encore et encore.

Portrait d’un révolté. Pierre-Louis Basse a été, vingt-cinq ans durant, une des grandes voix d’Europe 1. Spécialiste du sport, il a animé sur la station privée des émissions sportives qui ne se contentaient pas de commenter des matchs, mais se mêlaient aussi de littérature, de cinéma, de politique. Bienvenue chez Basse, la dernière en date, c’était une émission vivante, qui se proposait aussi de réfléchir sur la place du sport dans 
la société. La direction d’Europe 1 a interrompu cette intéressante expérience à la rentrée 2011. Pierre-Louis Basse, qui a aussi, au fil de sa carrière, travaillé pour Canal Plus, France 5, ou l’hebdomadaire Marianne, a profité de ce temps pour se consacrer à sa seconde passion : l’écriture. Auteur d’ouvrages remarqués, dont 
le fameux Guy Môquet, une enfance fusillée, 
il associe désormais ses deux passions : le sport et la littérature. Avide de connaissances toujours nouvelles, Pierre-Louis Basse allie un esprit frondeur à une réelle générosité.

01/06/2011

Révolutions : "Internet a besoin de la télévision pour atteindre la masse critique"

catherine-bertho-lavenir-54-november-2008.jpgEntretien avec Catherine Bertho- Lavenir, historienne et médiologue. Elle revient avec nous sur le lien entre médias, technologie et les révolutions. Du Printemps des Peuples et le télégraphe aux Indignés d’Espagne et Internet, en passant par les révolutions arabes.

Est-ce-que comparer le Printemps des peuples de 1848 avec ce nouvel outil qu’était le télégraphe, et les révolutions arabes et Internet vous semble pertinent ?

C’est effectivement intéressant sur deux points. D’une part il y a la contagion révolutionnaire, d’autre part le débouché politique. Parce qu’on peut décider avec Tweeter ou Facebook de se rassembler, mais ce n’est pas cela qui offre un réel débouché politique et des institutions.

En 1848, le réseau télégraphique est entre les mains de l’Etat, du ministère de l’Intérieur. Ce qui passe dessus sont donc les messages gouvernementaux et les dépêches des agences de presse, françaises et internationales, qui alimentent les journaux de province. L’information transite donc, mais comme les gouvernements en contrôlent le contenu, il n’y a pas de message républicain. Les socialistes n’ont pas accès à cette innovation et se contentent d’interpréter l’information officielle. Le télégraphe n’a donc pas directement porté le message révolutionnaire. En France en 1848, on est avant tout dans l’oralité, la réunion entre proches et les petits journaux clandestins pour faire passer le message politique.

C’est l’émeute urbaine qui va déclencher la révolution. Emeute qui se transforme en révolution quand il y a concrétisation politique. Mais c’est vrai que l’arrivée rapide des nouvelles de révoltes en France a poussé au soulèvement d’autres pays. En ce sens, le télégraphe a aidé à la contagion de l’émeute, selon l’idée : s’ils y sont arrivés, pourquoi pas nous. Mais c’est le premier mouvement socialiste et la première internationale qui a permis de passer de l’émeute à la révolution. Même si la situation, au départ comme à l’arrivée, est très différente selon les pays européens.

Et en ce qui concerne les révoltions arabes ?

egypte.jpgAvant d’arriver au média Internet, revenons à la télévision. C’est ce qui reste le média d’information central pour toucher les masses, même si elle est contrôlée facilement par le pouvoir. Sauf Al Jezeera, captée par internet ou Parabole, qui a été le média le plus important, lorsque la chaîne a décidé de couvrir au jour le jour les évènements.

Parce que qui a Internet en Tunisie et en Egypte ? Les jeunes, relativement riches. C’est une avant-garde éclairée. Encore que la situation en 1848 était sensiblement la même, la base de la contestation c’étaient des étudiants, imprimeurs et petits intellectuels.

Alors lorsqu’on dit que les révolutions arabes ne se seraient pas fait sans Internet, on surestime ce média ?

Ce que je vois sur les usages d’Internet, c’est que ça fonctionne aujourd’hui en synergie avec les medias traditionnels. Ca rentre en résonnance avec, ça pénètre et inspire les médias classiques. Mais dans le cas des révolutions, il y a besoin du relais de la télévision pour atteindre la masse critique.

Pourtant à l’origine, les premiers rassemblements se sont organisés sur Internet. C’est encore plus marquant avec le mouvement des Indignés en Espagne.

Effectivement des individus non organisés, c'est-à-dire qui ne sont pas adhérents d'un parti, d'un syndicat ou d'une association, se retrouvent après un appel sur Tweeter ou Facebook. On reste dans un cadre de la relation d’individu à individu. On se regroupe autour de quelqu’un, sur une logique de partage d’affinités, d’émotions. On rassemble des amis, contacts, ceux qui ont un « profil » proche. Le sentiment d’appartenance, notamment générationnelle est déterminant.

Dans un système bloqué comme en Tunisie, ou en Espagne où toute une population se sent sans alternative politique, cet usage d’internet a au moins l’intérêt de remobiliser une population tenue à l’écart du jeu politique traditionnel. Mais pour qu’il se passe quelque chose, il faudrait une concrétisation politique. Peut-être inventer quelque chose de nouveau, mais est-ce qu’on peut vraiment se passer d’un parti traditionnel…

Démocratie réelle et prise de parole, sont les principales revendications des Indignés. Ne trouvez-vous pas ces mots d’ordres très liés avec cette génération Internet ?

On a pu croire qu’Internet allait vraiment changer les choses, donner la parole, de manière égalitaire à de nouveaux individus. Pour la gauche, c’était l’espoir de redonner la parole aux minorités. Et pour la droite américaine, ne pas laisser les journalistes confisquer le discours public.

En réalité, Internet recrée de l’institution : les blogs influents se fédèrent principalement autour des sites de la presse traditionnelle. On a remarqué qu’Internet reproduit une même logique d’écran, d’intermédiaire entre l’information et son récepteur. C’est vrai qu’Internet autorise la prise de parole de n’importe qui. Ce n’est pas ça qui fera sens dans le débat public, mais rien n’empêche d’essayer.

Pour revenir aux indignés, je reste convaincue qu’un mouvement qui ne débouche pas sous une forme d’initiative politique organisée, s’il n’y a pas de possibilité d’institutionnalisation, reste une révolte et pas une révolution. Il n’y a pas de réponse technologique à une question qui ne l’est pas. Pour répondre à un problème politique, la réponse doit être politique.

La technologie peut déstabiliser, détruire, mais ne construira rien de politique. Les grandes difficultés que connaissent actuellement la Tunisie et l’Egypte en sont la preuve.

Bibliographie,

F. Barbier et C. Bertho Lavenir, Histoire des médias, De Diderot à Internet, A. Colin

C. Bertho Lavenir, La démocratie et les Médias, A. Colin

Vient de paraître (en mai) : C. Bertho Lavenir, Voyages à vélo, Paris-Bibliothèque-Actes Sud.

PUBLIE PAR L'HUMANITE

 

17:42 Publié dans Actualités, Blog, Entretien, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : internet, révolution, communication, arabe | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |