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10/01/2025

Comment les journaux français couvrent la guerre à Gaza

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En dépit d’un bilan humain effroyable, le récit de la guerre à Gaza fait par les grands titres vendus en kiosques tend à invisibiliser les victimes du côté palestinien. L’Humanité a mené l’enquête en collaboration avec l’ONG Techforpalestine en analysant 13 394 articles consacrés au conflit publiés dans cinq journaux français... dont l'Humanité.

« Les gens ont peur, c’est l’omerta », affirmait la journaliste du Figaro Eugénie Bastié dans sa dernière « enquête » dénonçant le supposé prisme pro-Palestiniens du journal le Monde dans sa couverture de la guerre à Gaza. Pourtant, en dehors des polémiques entretenues par la droite et l’extrême droite, rien ne permet d’affirmer que la presse française se soit émue du sort des Palestiniens depuis le 7 octobre 2023.

Grâce au travail de l’ONG Techforpalestine et de son outil Media Bias Meter, nous avons pu analyser les données d’un corpus de 13 394 articles consacrés au conflit par des journaux français : l’Humanité, Libération, le Monde, le Figaro et le JDD. Et, loin des obsessions de certains de nos confrères, on peut en conclure que la presse française ne se distingue vraiment pas par un engagement en faveur des Palestiniens.

Depuis le 7 octobre, la riposte d’Israël aux attaques meurtrières du Hamas a été abordée avec distance. Malgré l’ampleur des destructions et le lourd bilan humain – 46 738 morts confirmés, en date du 8 janvier –, les rédactions ont fait état du conflit en invisibilisant les premiers concernés : les Palestiniens.

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« Une sorte de masse indistincte »

En filtrant les articles de chaque journal avec les termes « Palestiniens » et « Palestiniennes », on découvre qu’ils figurent dans moins de la moitié des articles sur la guerre en cours. Dans le Monde, l’Humanité et Libération, la part des articles mentionnant les Palestiniens est respectivement de 47 %, 41 % et 37 %. Pour le Figaro, cette même part tombe à 28 %, soit 19 points de moins que le Monde, 13 points de moins que l’Humanité et 9 points de moins que Libération. Mais c’est dans le JDD que cette invisibilisation est la plus flagrante, avec seulement 21 % des articles sur la guerre à Gaza mentionnant les Palestiniens.

À l’inverse, le JDD mentionne les Israéliens dans 32 % des articles, soit près d’un tiers, et surtout 11 points de plus que pour les Palestiniens. On retrouve une configuration similaire dans les pages du Figaro, de Libération et du Monde, avec respectivement 33 % (+ 5 points par rapport aux Palestiniens), 46 % (+ 8 points) et 50 % (+ 3 points). Dans l’Humanité, les Israéliens sont mentionnés dans 35 % des articles, soit 6 points de moins que les Palestiniens.

Invisibilisation du massacre de la population palestinienne

« On est dans un huis clos, il est très difficile de donner un visage et de faire entendre la voix des personnes qui subissent la guerre. Donc, on a une impression un peu vague, comme une sorte de masse indistincte », analyse Nathalie Godard, directrice de l’action d’Amnesty International en France. Outre l’invisibilisation du massacre de la population palestinienne, cet élément soulève d’autres remarques sur ce récit médiatique.

« Consciemment ou non, cet angle mort lexical accompagne symboliquement l’entreprise de dilution, pour ne pas dire de destruction, de l’identité nationale palestinienne menée depuis des décennies par l’État d’Israël », souligne Pauline Perrenot, journaliste à Acrimed, association spécialisée dans la critique des médias.

Une autre opération menée de longue date par l’État israélien est elle aussi passée sous les radars : la colonisation des territoires occupés. Si l’on retrouve le terme de « colonisation » dans 10 % des articles de l’Humanité et dans 7 % de ceux du Monde, il n’est présent que dans 4 % des pages du JDD consacrées au conflit et dans 2 % de celles de Libération et du Figaro. « En proportion de ce qui est écrit sur la guerre, on est largement en deçà de ce qui était écrit auparavant sur le sujet », analyse Dominique Vidal, journaliste et historien.

gaza,médias

La guerre à Gaza n’a pas stoppé la colonisation

Sauf que la guerre à Gaza n’a pas stoppé la colonisation, bien au contraire. 1 746 attaques de colons ont été recensées entre le 7 octobre et le 3 janvier. Encouragées par les discours racistes et suprémacistes des ministres israéliens d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, elles ont coûté la vie à 791 Palestiniens.

Quant au génocide, désormais reconnu par des organisations telles qu’Amnesty International, Médecins sans frontières ou Human Rights Watch, le manque d’attention médiatique est encore plus flagrant. En ne conservant que les articles publiés à partir du 26 janvier 2024, date à laquelle la Cour internationale de justice met en garde contre le risque d’un génocide à Gaza, on découvre que trois des cinq journaux analysés ont évoqué le terme dans moins de 10 % de leurs écrits sur le conflit.

La part est de 6 % pour le Figaro, 7 % pour Libération et 8 % pour le JDD. Si elle dépasse les 10 % dans les colonnes de l’Humanité et du Monde, elle reste faible. Pour le premier, elle s’établit à 18 %, soit trois fois plus que le Figaro. Dans le quotidien du soir, elle est de 11 %.

Pour Pauline Perrenot, il est clair qu’avant la date du 26 janvier le génocide n’a pas « fait l’agenda », bien que le terme ait pourtant été très vite utilisé par les Palestiniens eux-mêmes ainsi que par certains chercheurs, intellectuels ou juristes.

Une entreprise de disqualification quasi systématique

« L’augmentation des occurrences dans une partie de la presse ne signifie pas, pour autant, que la médiatisation ait été à la hauteur d’un événement pourtant historique », analyse la journaliste. Une bonne partie des occurrences peuvent en effet être rattachées à l’entreprise de disqualification quasi systématique des acteurs évoquant le génocide. Entreprise qui s’est surtout déployée dans les médias audiovisuels, mais également dans la presse par le biais de tribunes et d’éditoriaux.

Cette disqualification, Amnesty International en a fait les frais, et ce même avant la publication de son rapport sur le génocide rendu public le 4 décembre 2024. « Après le 7 octobre, nous avons essayé de traiter les choses avec du factuel et de l’analyse juridique (…) dans un moment où c’était d’abord l’émotion et la polarisation qui prenaient le dessus sur tout le reste, raconte Nathalie Godard. Nous subissions des attaques extrêmement fortes avec un système récurrent : un éditorial qui nous critiquait pour l’emploi ou non d’un terme, puis un autre qui ne vérifiait pas le premier. » Le tout amplifié par des centaines de partages sur les réseaux sociaux.

Contribuer à la « fabrique du consentement au génocide »

En plus de les invisibiliser, la presse entretient un double standard au sujet des Palestiniens. Quand les morts israéliens font la une des quotidiens, les morts palestiniens tiennent en un chiffre en bas de page. Quand on ne compte plus les séries de portraits des victimes du Hamas, le bilan des victimes palestiniennes est mis en doute. Quand le 7 octobre représente l’horreur absolue car des civils sont tués, les hôpitaux gazaouis remplis de femmes et d’enfants sont bombardés car des membres du Hamas s’y cachent.

Ce deux poids deux mesures s’explique notamment par une focalisation sur les attaques du 7 octobre. Comme si le temps s’était arrêté à ce moment-là, et que rien de ce qui s’est produit par la suite ne pouvait être plus horrible.

À l’exception de l’Humanité, on retrouve les termes « 7 » et « octobre » en tête des collocations (association fréquente de deux éléments dans un discours) du mot « massacre » dans tous les journaux étudiés. Ce terme de « massacre » est associé au terme « juifs » dans les 10 premières collocations du journal le Monde, et le plus souvent à celui d’« antisémite » dans le Figaro et le JDD.

« Nous combattons des animaux humains »

« À de rares exceptions près, le récit du 7 octobre domine dans le discours médiatique », analyse Dominique Vidal. Or, comme le rappelle ce spécialiste du conflit israélo-palestinien, les signes du déchaînement aveugle de la violence israélienne sont visibles dès le surlendemain.

« Nous combattons des animaux humains », déclarait le ministre de la Défense, Yoav Gallant, dans son discours du 9 octobre, promettant par la même occasion qu’il n’y aurait « pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau » à Gaza.

« On a affaire à un naufrage persistant de la plupart des médias dominants, lesquels auront tout de même amplement participé, par leurs partis pris et leurs silences, à la fabrique du consentement au génocide », conclut Pauline Perrenot.

Bombarder les écoles et les hôpitaux, affamer la population, bloquer l’aide humanitaire, torturer les prisonniers ou bien encore utiliser les Palestiniens comme boucliers humains… rien, rien de tout ça n’aura suscité une émotion médiatique comparable à celle du 7 octobre.

Sources et méthodologie

Pour réaliser cette enquête, l’Humanité a analysé 13 394 articles de presse. Dans le détail : 2 827 de l’Humanité, 2 408 articles de Libération, 2 668 articles du journal Le Monde, 3 788 articles du Figaro et 1 703 articles du JDD. Ce corpus regroupe les articles, éditoriaux, tribunes et brèves de direct concernant la guerre à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 11 octobre 2024. Il nous a été fourni par l’ONG Techforpalestine et a fait l’objet de plusieurs nettoyages basés sur une liste de mots clés avant l’analyse statistique.

Grâce à leur outil d’analyse (Media Bias Meter) nous avons pu calculer les occurrences de plusieurs termes (Palestiniens, israéliens, génocide…) et le nombre d’articles correspondant afin de calculer des parts en pourcentage. Les collocations de termes ont ensuite été calculées grâce au logiciel opensource VoyantTools.

Cette analyse statistique s’inscrit dans une démarche quantitative. Les données de cette enquête mettent en lumière un phénomène global dans le récit médiatique. Elles ne permettent pas d’expliciter un phénomène qualitatif sur une sélection réduite des articles.

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Bluesky, un réseau social concurrent de X, mais économiquement très fragile

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Bluesky, concurrent de X, boucle un nouveau tour de table

Le réseau social est valorisé à environ 700 millions de dollars dans un nouveau tour de table qu’il est en train de boucler, après une croissance explosive de ses abonnés à la suite de la victoire de Donald Trump. Bluesky compte désormais 25,9 millions d’utilisateurs. Il reste néanmoins largement déficitaire.

Bluesky est un réseau social conversationnel, dans la lignée de X (ex-Twitter), Threads ou Facebook. Avec plus de 23 millions d’utilisateurs début décembre 2024, le réseau a pratiquement doublé sa base en quelques mois à peine. Mais comment expliquer ce succès ? Faut-il ou non investir ce réseau ? Concrètement, que peut-on y trouver ? Nos éléments de réponses.

Bluesky ou le proto-Twitter resté sain

Copie (presque) conforme

Si vous avez l’impression d’avoir toujours connu Bluesky, la plateforme de microblogging la plus en vue du moment, c’est bien normal ! Son créateur n’est autre le co-fondateur de Twitter, l’ingénieur informatique Jack Dorsey. Le projet Bluesky date d’ailleurs de… 2019. Soit, plusieurs années avant la prise de contrôle de Twitter et sa transformation en « X » par le milliardaire Elon Musk.

Aujourd’hui, les deux entreprises n’ont plus d’autre lien que leurs origines. Et un fonctionnement très similaire. Pour beaucoup, Bluesky est ainsi le « Twitter des origines », celui qui a séduit et percé en 2006.

Les raisons d’un succès

L’exode des « X-pats »

Comme on le disait, Bluesky existe en fait depuis quelques années déjà – même si au départ, il n’était accessible que sur invitation de membres.

Son essor commence fin 2022, suite au rachat de Twitter par Elon Musk. La gestion ultra-libérale du réseau, devenu « X » entre temps, déplaît à bon nombre d’utilisateurs, qui se mettent à chercher des alternatives. La gronde commence.

Loin de calmer les inquiétudes, la nouvelle direction côté X licencie la moitié de ses équipes, amoindrit fortement les règles de modération, accumule les bugs et monétise de plus en plus de fonctionnalités qui avaient toujours été gratuites.

Mais ce qui déplaît plus que tout, c’est bel et bien la politisation du réseau. Sous réserve de liberté d’expression, Elon Musk rouvre les comptes de complotistes et de personnalités extrémistes, qui avaient été bannies du réseau. La parole se libère et devient vite anxiogène et toxique.

Les « fake news » se multiplient sans presque plus de réaction de la part des (quelques) modérateurs qui restent dans les équipes. Au point que le réseau est comparé au « Truth Social », la plateforme de Donald Trump.

C’est d’ailleurs Donald Trump qui lance réellement, sans le vouloir, la popularité de Bluesky. La campagne présidentielle américaine exacerbe les tensions autour de X avec un discours toujours plus polémique et politisé. L’année 2024 marque en ce sens une fracture. La coupe est pleine pour une large partie des internautes, qui ne se reconnaissent plus dans le réseau social. Ce qui s’appellent eux-mêmes les « X-pats » (expatriés) quittent massivement X pour se réfugier sur un réseau qu’ils qualifient de « positif », de ce que « Twitter aurait dû être ».

Qui a lancé le mouvement ? Les grands médias (The Guardian, Ouest France) ? Les annonceurs (Apple, Disney, Balenciaga) ? Ou encore, les célébrités et les influenceurs ? (Jamie Lee Curtis, Alyssa Milano, Stephen King…). Impossible à dire ! Le fait est que les internautes ont suivi. Tandis que X est en perte de vitesse, les chiffres de son cousin rival explosent.

Bluesky, concrètement, à quoi ça ressemble ?

Un réseau rassurant, sans surprise

« Positif » et « rassurant », voilà ce qui revient le plus quand on parle de Bluesky. Ces qualités attirent les foules, dans un contexte géopolitique tendu. Quand une partie de la population ne lit même plus la Presse pour préserver sa santé mentale et éviter l’anxiété.

Évidemment, cela ne suffit pas. Bluesky bénéficie aussi de la nostalgie Twitter, des utilisateurs qui se souviennent des débuts enthousiastes du réseau. Ce Twitter mythique, qui a permis par exemple les révolutions du « Printemps Arabe ». Ou celui qui a rassemblé, au moment de « Je suis Charlie ». Ce n’est pas un hasard si les concepteurs du réseau ont conservé un design ressemblant à s’y méprendre à celui de Twitter/ X. Le rapprochement est évident.

Plus que le design, le fonctionnement est très similaire également. Une plateforme de micro-blogging où les messages de texte concis sont rois (< 300 caractères pour Bluesky Vs < 280 pour X). Les fichiers multimédias ne sont pas en reste : chaque post peut s’accompagner d’une pièce jointe, qu’il s’agisse d’un gif, d’une simple image ou d’une vidéo. 

Pour autant, Bluesky est un réseau de la simplicité : pas question de surcharger son profil en vidéos à l’image d’un TikTok. Contrairement au réseau chinois, où l’information est descendante (du créateur de contenu vers le public), Bluesky favorise l’échange et la discussion. On revient au principe de base du micro-blogging. En ce sens, Bluesky est à rapprocher du Twitter des années 2000, du Facebook des origines ou encore de Tumblr. Et, pour prendre un exemple actuel, du « Threads » de Meta, qui complète Instagram.

Source Nord Est

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20/03/2019

Les chaînes télé déroulent le tapis rouge devant Marine Le Pen

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Depuis le début de l’année, les représentants du Rassemblement national (RN) se bousculent aux portillons des chaînes d’information en continu. Sur la période allant du 1er janvier au 17 mars 2019, on ne dénombre pas moins de 161 invitations sur BFM-TV, Cnews, France Info ou LCI, soit plus de deux apparitions par jour en moyenne.

A elles seules, BFM-TV et CNews comptent pour 131 invitations. Cette omniprésence des représentants du parti d’extrême-droite s’accompagne d’un traitement médiatique tout en complaisance à l’égard de Marine Le Pen. À longueur d’émissions spéciales sur « la dynastie Le Pen », d’interviews bienveillantes, de commentaires élogieux, la présidente du Rassemblent national (RN) bénéficie d’une couverture d’une complaisance sans égale. Retour sur cette édifiante séquence de promotion médiatique.

Dès la mi-janvier, BFM-TV célébrait en fanfare la rentrée politique de Marine Le Pen avec une émission spéciale, promue à grands renforts de bandes-annonces. Au programme, « une grande enquête » sur « un feuilleton politico-familial qui passionne les Français depuis plus d’un demi-siècle, la dynastie Le Pen », avec « des secrets, des pardons et des trahisons ». Bref on l’a compris, rien ne sera épargné aux téléspectateurs, dans ce que Samuel Gontier décrit comme une « entreprise de dépolitisation parfaitement menée, à force d’anecdotes insignifiantes et d’exégèses psychologisantes [1]. »

Le soir même sur le plateau de BFM-TV, les commentaires donnent le ton : « Il y a ce côté Dallas et Dynastie, les séries américaines », commente ainsi Olivier Beaumont du Parisien. Et d’évoquer « un clan qui s’est toujours invité dans le foyer des Français. » Invité certes, mais par qui ? Pour le présentateur Bruce Toussaint, l’histoire des Le Pen est « une saga incroyable », qui est « à la fois une histoire de famille et un pan de notre histoire politique. » Rien que ça. La diffusion de cette émission spéciale tombe d’ailleurs à point nommé : « Marine Le Pen qu’on disait carbonisée par la dernière élection présidentielle […] est en train de tirer profit de la crise des gilets jaunes ». Une affirmation sans appel, sur la foi de sondages prédisant un score élevé pour le Rassemblement national. Et constituant vraisemblablement une raison suffisante pour dérouler le tapis rouge à sa dirigeante [2].

Une autre séquence s’ouvre le 17 février. Alain Finkielkraut est invité sur BFM-TV par Apolline de Malherbe, en réaction aux insultes proférées la veille à son encontre, en marge d’une manifestation de gilets jaunes. Au cours de cet entretien, il délivre un satisfecit à la présidente du Rassemblement national : « Qui a dénoncé immédiatement les attaques dont j’ai été l’objet ? Marine Le Pen. » Pour lui, le RN ne figure pas parmi « les vrais fauteurs de haine ». D’ailleurs, ce serait « une incroyable paresse de pensée que de revenir sans cesse aux années 1930 et au bon vieux Front national de papa ».

Cette invitation a été l’amorce d’une nouvelle salve de commentaires complaisants à l’égard du Rassemblement national [3]. Sur le plateau de « BFM Story », l’éditorialiste Anna Cabana est catégorique : au lieu de parler d’antisémitisme d’extrême-droite, on ferait mieux de parler d’un antisémitisme d’extrême-gauche. La preuve ? « Quand on discute avec Alain Finkielkraut de ce qui s’est joué pour lui […] il vous parle des zadistes, il vous parle des gauchistes ». On ne peut pas reprocher à Anna Cabanna de ne pas avoir de suite dans les idées : le lendemain, elle invite Marine Le Pen à un entretien chaleureux et complaisant sur i24. L’occasion pour la présidente du RN de pontifier sur l’« antisémitisme islamo-gauchiste » qui serait le « danger le plus flagrant, le plus évident aujourd’hui ».

En mars, c’est LCI qui prend le relais. La chaîne d’information en continu y va, elle aussi, de sa soirée spéciale sur le « renouveau » de la dirigeante du Rassemblement national. Dès le journal de 17h, la présentatrice annonce la couleur : « Elle est jugée volontaire, capable de prendre des décisions et de comprendre les problèmes quotidiens. L’image de Marine Le Pen s’est considérablement améliorée auprès des Français. [4] ». A 18h, David Pujadas annonce quant à lui « un retour en grâce ». Des affirmations à nouveau appuyées à grand renfort de sondages.

Au sommaire de cette soirée, surprise ! Un « grand document » sur « le roman vrai d’une dynastie politique », avec les « confidences et confessions de trois générations Le Pen ». Avec originalité, LCI marche dans les pas de BFM-TV. Pourquoi au juste cette émission spéciale ? Le chef du service politique de TF1 et LCI s’explique : « Parce qu’on est à quelques semaines d’une élection, les européennes, où, selon toute vraisemblance, la formation politique de Marine Le Pen va réaliser un score très important. » La même logique est à l’oeuvre que sur BFM-TV : des sondages annoncent un résultat favorable pour le RN, il est donc urgent de lui ouvrir tous les micros.

Le service public n’est pas en reste. « L’émission politique » du 14 mars sur France 2 constitue le dernier épisode en date de cette séquence de promotion médiatique. Un extrait relayé avant l’émission annonçait déjà la couleur : Thomas Sotto, interrogeant Marine Le Pen… sur son amour pour ses chats. Un échange passionnant qui n’a pas manqué de susciter l’ironie voire l’indignation sur les réseaux sociaux. L’émission est à l’avenant : pendant plus de deux longues heures, Marine Le Pen occupe l’antenne. Le résultat ? C’est Nathalie Saint-Cricq, cheffe du service politique de France 2, qui en parle le mieux dans son debriefing : « globalement, elle est hyper dédiabolisée ». Et en détail, cela donne cette tirade édifiante :

« Moi, je l’ai trouvée assez efficace, j’ai trouvé qu’elle avait travaillé […], qu’elle était dans le constat ce qui lui permet plus facilement d’arrondir les angles. Elle n’est pas contre les riches, elle est pour les pauvres. Elle aime bien les bons gilets jaunes, mais elle défend aussi les policiers. Tout est de la faute du gouvernement. Donc pendant toute la première partie on a eu quelqu’un d’assez consensuel et qui était dans le constat et finalement son constat, on pouvait le partager, et c’était une sorte de constat mainstream . Après les choses se sont un peu plus gâtées avec Nathalie Loiseau et avec Matteo Renzi parce que là, on n’était plus dans le constat on lui demandait des solutions […] et là ça a patiné un petit peu plus mais globalement, elle est hyper dédiabolisée et elle a travaillé et elle n’est plus excessive comme elle pouvait l’être avant, ni pas très professionnelle. »

En résumé donc : une belle séquence d’« hyper dédiabolisation » offerte en direct et à une heure de grande audience par le service public.


***


Depuis janvier, les chaînes d’information en continu font la chronique annoncée du triomphe de Marine Le Pen. Ils décrivent, sur la foi de sondages, tantôt une « résurrection », tantôt une « reconquête » en vue des élections européennes. Emissions spéciales à l’appui, ils évoquent des Français « fascinés » par la famille Le Pen. Tout est bon pour expliquer le succès annoncé de l’extrême-droite. Pour certains commentateurs, les mobilisations de gilets jaunes auraient profité au Rassemblement national – alors même que les obsessions migratoires de Marine Le Pen n’apparaissent pas dans les revendications exprimées par les gilets jaunes.

Cette séquence, qui prend des allures d’auto-hypnose médiatique, a un effet performatif - lorsqu’est annoncée sur tous les tons et registres la « dédiabolisation » du RN. Elle fonctionne également comme une forme de prophétie auto-réalisatrice, en écrivant à l’avance la « dramaturgie » des élections européennes comme un « match » entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Et en écrasant, sur les plateaux télévisés, toute alternative à ce duel sous le brouhaha médiatique.


Frédéric Lemaire (avec Pauline Perrenot et Florent Michaux)

Annexe : les représentants du Rassemblement national dans les radios et télévisions

Nous avons effectué le décompte des invitations de représentants du RN dans les radios et chaînes de télévision du 1er janvier au 17 mars 2019, sur la base de la liste des interventions médiatiques recensées sur le site du RN.

Les médias recensés sont : BFM-Business, BFM-TV, C8, CNews, Europe 1, France 2, France 24, France 3, France 5, France Bleu, France Culture, France Info, France Inter, I24, LCI, LCP, Paris Première, Public Sénat, Radio Classique, RCF, RFI, RMC, RT, RTL, Sud Radio, TV5 Monde.

On compte un total de 233 invitations médias sur 76 jours, soit une moyenne de 3 invitations par jour sur l’ensemble des médias concernés. Ce palmarès est largement dominé par BFM-TV (71) et CNews (60) y compris en comparaison avec d’autres chaînes d’information en continu (14 pour LCI).

par Frédéric Lemaire, pour ACRIMED

 

17/12/2017

Le podcast, une nouvelle façon d'écouter la radio

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Jessica Berthereau / Les Echos
 
Fini, la radio de papa écoutée en direct. De plus en plus d'auditeurs privilégient ces programmes audios téléchargés pour être écoutés à sa guise. Une nouvelle manière, plus intime et plus originale, de consommer de l'audio. Au-delà des rediffusions, la création « native » explose.

« Une fois que vous avez commencé, vous ne pouvez plus vous en passer ! » prévient Gus Brandys. De quoi s'agit-il ? D'une drogue ? Non, mais c'est tout comme pour ce professeur d'histoire-géographie à Genève. Il pousse un soupir. « Je n'aurais jamais dû mettre le pied dans l'engrenage. » Comprendre : les oreilles dans le casque. Car Gus Brandy parle ici des podcasts, ou balados, comme le disent plus poétiquement les Québécois ; ces programmes audio, issus de la radio ou non, que l'on peut télécharger puis écouter à tout moment depuis son smartphone. Gus fait défiler ceux auxquels il est abonné. Rapide calcul : « Je dois dépasser les 50. Je suis vraiment un très gros consommateur... »

Le podcast, c'est addictif, tous les fans de ce format audio vous le diront. Il est vrai qu'il s'adapte à merveille à nos modes de vie. Un trajet en métro ou en voiture, une séance à la salle de sport, un peu de ménage à la maison ? Hop, on visse le casque sur ses oreilles, on effleure le petit triangle Play et nous voici transportés dans un autre monde. « C'est devenu mon premier réflexe. Dès que je pars de la maison, je regarde si j'ai de nouveaux épisodes », confie Mathilde Lacombe, cofondatrice de Joliebox (aujourd'hui Birchbox). Ecouter des podcasts a révolutionné ses longs trajets quotidiens entre Reims, où elle vit, et Paris, où elle travaille. « J'ai découvert les podcasts il y a deux ans avec le phénomène Serial aux Etats-Unis [enquête sur un meurtre, NDLR], se souvient-elle. Ce que j'adore, c'est Le côté à la demande, je choisis ce que j'écoute. »

Son cocktail radiophonique ? Affaires sensibles et Le Billet de Nicole Ferroni, sur France Inter, Transfert, sur Slate, How I Built This et Génération XX, à propos de l'entrepreneuriat. Soit un mélange d'émissions de radio podcastées et de podcasts dits natifs, créés par des médias non radiophoniques, des réseaux de podcasts sur Internet ou encore des indépendants. Il y en a pour tous les goûts. Les barrières à l'entrée étant minimes - un simple micro de téléphone peut suffire à enregistrer du contenu sonore - des centaines de podcasts ont été lancées sur tous les sujets possibles et imaginables.

Combler un vide médiatique

C'est pour trouver des « contenus sur des thèmes qui ne sont pas traités ailleurs, comme la pop culture ou les jeux vidéo » qu'Arnaud Delevacque, ingénieur en informatique et « podcastovore assumé », s'est tourné vers les podcasts indépendants. Parmi ses préférés, l'inclassable Riviera Détente d'Henry Michel, Les Démons du MIDI sur la musique des jeux vidéo ou encore Pardon Maman, balado de vulgarisation vulgaire. Difficile d'imaginer de telles émissions à la radio, média de masse aux contenus fédérateurs.

« Il y a une forte demande pour des formats originaux, à la fois plus informels et plus anglés, des contenus personnalisés, avec un parti pris et un ton qui sort de l'ordinaire », observe Joël Ronez, cofondateur du réseau de podcasts Binge Audio, lancé fin 2016. Pour Lauren Bastide, créatrice du balado féministe La Poudre, « le podcast vient combler les vides médiatiques ». Elle cite en exemple les nombreux podcasts lancés à destination des Afro-descendants, comme Le Tchip diffusé sur Arte Radio, le pionnier du podcast qui a fêté ses quinze ans début novembre.

Ce format audio répond aussi à un autre besoin : celui de ralentir, de s'extraire de la frénésie de l'info en continu et de l'instantanéité des réseaux sociaux, en se glissant dans une bulle le temps d'un épisode. « Les podcasts sont une vraie bouffée d'air frais, une pause dans ma consommation quotidienne de réseaux sociaux, témoigne Ingrid. Avec les podcasts, je prends enfin le temps, je choisis ce que je veux écouter et je prends même parfois la liberté de revenir sur un passage bien précis pour en prendre note. » Cette trentenaire, consultante en relations publiques à Paris, affectionne tout particulièrement les balados de conversation. « Ecouter les parcours inspirants de femmes ou d'hommes, connus ou inconnus, entrepreneurs ou non, mais qui ont des projets et de vraies convictions, me booste. J'aime le fait qu'ils se confient en toute intimité sur leurs doutes, leurs réussites et leur équilibre. »

Intimité... Voilà bien un mot-clé du succès du podcast : l'intimité d'une conversation entre l'hôte et son invité autour d'un micro qui se fait rapidement oublier ; l'intimité qui se développe entre le podcasteur et son audience au fil des épisodes ; l'intimité d'un son reçu au creux de l'oreille. Pour Constanze Stypula, directrice d'Audible France, « c'est une intimité qui renvoie les auditeurs à leur enfance, à ce temps où on leur lisait une histoire ». Sans surprise, les podcasts qui racontent des histoires, vraies ou fictionnelles, d'anonymes ou de personnalités, sous forme d'interview-fleuve ou de mises en récit façon storytelling américain, sont justement ceux qui ont le plus de succès. « L'audio parlé est une catégorie distincte, qui n'est comparable ni à la lecture, ni à la vidéo, poursuit Constanze. Je pense que la vue nous empêche parfois de vraiment écouter une personne. » L'audio demande moins de concentration que la lecture mais ne nous hypnotise pas autant que peuvent le faire les écrans. Sans image à regarder, notre cerveau est plus attentif à tout ce qu'une voix peut véhiculer d'émotions, de nuances, de sentiments... Une étude publiée récemment dans la revue scientifique American Psychologist (1) suggère que la voix seule est le meilleur vecteur pour détecter les émotions de quelqu'un.

Cette sensation d'intimité est renforcée par la forte subjectivité qui caractérise le podcast. Les hôtes y mettent beaucoup d'eux-mêmes. « Quand je parle, je n'ai pas du tout le ton du journaliste, je suis dans la vie comme dans mes émissions », assure Patrick Beja, qui se définit comme un « artisan du podcast », créateur notamment du balado Le RV Tech sur l'actualité de la technologie et d'Internet. C'est pour ça qu'une relation très forte se noue entre le podcasteur et ses auditeurs. Ils ont l'impression d'être invités à la table des animateurs et de rigoler avec eux. C'est exactement ce que ressent Arnaud Delevacque. « On a le sentiment d'être assez proche des personnes qui animent les podcasts, on finit par avoir l'impression de les connaître et c'est un plaisir de les retrouver à chaque épisode, comme si on rejoignait des amis. » Au fil du temps, des contacts se nouent avec le podcasteur mais aussi entre auditeurs, tout d'abord virtuels sur les réseaux sociaux et des forums dédiés puis de visu lors d'enregistrement en public et de rencontres. La bulle s'agrandit. Le podcast se matérialise en une communauté.

L'ADN communautaire des balados

Chez Qualiter, qui produit notamment l'émission de société numérique Studio 404, il est « aussi important de faire des podcasts que de faire des choses pour notre communauté », explique FibreTigre, l'un des cofondateurs de cette petite maison de production de balados. Début novembre, ils se sont retrouvés avec une cinquantaine de leurs auditeurs dans les Pyrénées pour leur deuxième Post-Qamp déconnecté.

Au programme : « Pas d'heure ni de data, de smartphones, de casques audio ou appareils photos, mais plein d'activités et de gens joyeusement déboussolés. » Vous n'en saurez pas plus, il était interdit de communiquer. Cet esprit communautaire est dans l'ADN des podcasts francophones les plus anciens, comme ceux de RadioKawa, mais les plus récents ne sont pas en reste. Lauren Bastide n'en revient toujours pas du nombre d'auditrices avec lesquelles elle échange : « C'est dingue, je reçois des dizaines de messages tous les jours, des témoignages où elles se confient sur leur vie, leurs études, leur couple, leur sexualité... C'est quelque chose que je n'ai jamais connu en écrivant pendant dix ans dans le magazine 'Elle'. »

Pour Julien Cernobori, longtemps journaliste à Radio France et maintenant auteur de Super Héros, un podcast de récits de vie, « on est placé sur un piédestal à la radio alors que le podcast crée beaucoup de proximité ».

Julien Cernobori chérit la liberté avec laquelle il peut façonner son balado. « Faire parler une personne anonyme pendant une heure et demie, voire deux heures, n'aurait jamais été possible à la radio. » En s'affranchissant de la nécessité de plaire au plus grand nombre et des contraintes d'une grille des programmes, le podcast offre un espace de liberté et de créativité quasiment sans limite, sur la forme comme sur le fond, qui rappelle à certains l'ère des radios libres.

Ceux créés par des amateurs présentent souvent un côté artisanal qui fait leur charme, même si une qualité sonore trop médiocre peut finir par décourager certains auditeurs. Car plus on écoute de podcasts, plus on devient exigeant. Ne serait-ce que pour des questions de temps. « Il y en a tellement que je suis obligé d'être très sélectif. Je préfère toujours écouter un programme qui va vraiment m'apprendre quelque chose », souligne Gus Brandys, pour qui les balados représentent « une manière incroyable de se cultiver. J'ai appris énormément de choses très utiles pour ma profession et ma vie en général ». Il divise ses écoutes en deux catégories : celles qui nourrissent son métier, comme Les Enjeux internationaux ou Rue des écoles sur France Culture, et celles qui abreuvent ses passions, comme NoCiné, Un Episode et J'arrête, ou encore des fictions terrifiantes telles que Archives 81.

Pour beaucoup, le podcast vient étancher une soif d'apprendre. « Dans cette époque où l'on éprouve le besoin de se nourrir intellectuellement en permanence, le podcast permet de ne plus laisser de plage de vide », relevait à ce sujet Charlotte Pudlowski, la créatrice de Transfert, lors d'une récente conférence sur les balados organisée par le studio Nouvelles Ecoutes. « Nous avons un besoin de productivité permanente, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours très sain. » Drôle de paradoxe.

Le podcast offre une respiration loin de la frénésie médiatique mais on l'utilise aussi pour se remplir la tête à chaque moment qui serait autrement jugé perdu ou sous-exploité. Ce ne sont pas les enceintes connectées intelligentes, c'est-à-dire dotées d'un assistant personnel, qui vont changer cette tendance, bien au contraire. Leur arrivée dans nos foyers pourrait conduire à une explosion des usages. « C'est le dernier maillon de la chaîne. Les enceintes connectées vont complètement ubériser le marché de l'audio », prédit Joël Ronez de Binge Audio. Une simple commande vocale et le dernier épisode de votre podcast préféré se met à résonner dans votre salon pendant que vous faites le ménage.

Né avec la numérisation de l'audio, le balado n'a pas fini de bénéficier des évolutions technologiques. Pour Jeanne Robet, réalisatrice sonore, auteure notamment de Crackopolis, la série documentaire audio sur le Paris du crack, « une des branches d'avenir du podcast est l'écoute géolocalisée ». C'est-à-dire des contenus sonores qui se déclenchent au fil d'un parcours en fonction de la position GPS de l'auditeur pour faire revivre une ambiance, raconter l'histoire d'un lieu, relater une fiction dans un décor plus que réel... Jeanne rêve ainsi de créer une course-poursuite à écouter en faisant son jogging. Imaginez-vous chaussant vos baskets, logeant vos écouteurs dans vos oreilles et partant à toute allure aux trousses du héros.

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17:22 Publié dans Dossier, Radio | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : podcasts, radios, mosaik radios | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |