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05/04/2011

Quand la propagande défigure le débat public

lybie0001.jpgHenri Maler, membre de l'association Action-Critique-médias (Acrimed), décrypte le traitement médiatique qui a été fait en France de l'entrée en guerre en Libye.

Quelles sont les premières observations recueillies par Acrimed sur le traitement médiatique de cette guerre en Libye ?

Henri Maler. Avant même que ne commencent les bombardements, on a assisté à une véritable exaltation guerrière. Dès le vote de la résolution de l'ONU, la plupart des sites des quotidiens et des hebdos, impatients, nous prévenaient : « Le compte à rebours a commencé. » Il n'est pas exagéré de dire que le petit monde des grands médias s'est félicité de la perspective des bombardements sur la Libye, semblant oublier qu'une guerre est avant tout. une guerre. Entre les journalistes qui bombent le torse et ceux qui, à défaut de revêtir leur treillis, se mettent à parler comme les militaires, rien ne nous est épargné. Une rhétorique va-t-en guerre soutenue par une fièvre chauvine sur le rôle de « la France ». Qui a « frappé la première », pouvait-on lire à la une de la plupart des quotidiens, le lendemain des premiers bombardements. Cocorico, c'est la guerre !

Une guerre présentée comme indispensable.

Henri Maler. Inévitable et indiscutable. Or, qu'on la soutienne ou la réprouve - que l'on pense que l'intervention militaire était nécessaire (pour empêcher les forces armées de Kadhafi d'écraser la révolte à Benghazi) ou au contraire que l'on devait et pouvait l'éviter -, on est en droit d'attendre des médias qu'ils ne soient pas le service après-vente du ministère de la Défense, reprenant la moindre de ses informations et le moindre de ses termes, sans aucune distance critique. C'est à peine si les principaux médias osent parler de « guerre », alors que des centaines de missiles ont été tirés dès les premiers jours. Ils évoquent, non des bombardements, mais des « frappes » : des frappes « ciblées », nouvel avatar des « frappes chirurgicales ». On nous montre, à grand renfort d'images fournies par l'armée elle-même, le haut degré de précision et de technologie de « nos » armes.

Pourtant, cette guère soulève au moins quelques questions. Quelle place a été accordée aux divergences ? Le pluralisme des avis et analyses sur cette intervention a-t-il été respecté ?

Henri Maler. Dans leur emballement, la plupart des médias ont « oublié » de commencer par poser ces questions. Et quand des questions partielles ont surgi, après l'euphorie des premiers jours (sur les dissensions, le commandement, les objectifs), les interrogations sur la nécessité et la légitimité de cette guerre qui ne dit pas son nom - présentée, au fond, comme une opération humanitaire, et non comme une intervention militaire - étaient devenues « hors sujet ». On nous a répété jusqu'à la nausée que cette opération était soutenue par la « communauté internationale ». Les gouvernements de la Chine, l'Inde, la Russie, l'Allemagne, le Brésil. ont fait part de leurs réserves ? Ce n'est pas un problème, puisqu'ils se sont abstenus ! D'autres se sont déclarés franchement hostiles. Qu'importe : la « communauté internationale » existera sans eux. Plutôt que d'informer sur leurs arguments et de tenter de les comprendre, avant de soutenir ou de réprouver leurs positions, on a traité tous les réfractaires par le mépris. Quand aux arguments de ceux qui, en France même, émettent des objections sur le fond ou s'opposent à cette guerre-là, ils ont été relégués, dans les meilleurs des cas, dans les « tribunes libres

Comment expliquer ce traitement médiatique ?

Henri Maler. On peut être tenté d'expliquer ce traitement par le poids des marchands d'armes dans le paysage médiatique français. Le cas du Figaro, propriété de Serge Dassault, qui fournit l'armée française (et qui a aussi vendu des avions à Kadhafi) est presque caricatural. Mais ce serait un raccourci. Ce qui domine, c'est le suivisme des grands médias à l'égard de la prétendue « communauté internationale », des institutions politiques et militaires, et de l'unanimisme des partis dominants en France même. Cette déférence institutionnelle se nourrit des croyances partagées, sinon par tous les journalistes, du moins par les chefferies éditoriales. Dès lors, la propagande menace de dévorer l'information et de défigurer le débat public

Henri Maler est coauteur de l'Opinion, ça se travaille. Les médias et les guerres justes : Kosovo, Afghanistan, Irak (avec Serge Halimi et Dominique Vidal, Agone, 2006). Voir aussi www.acrimed.org

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13/02/2011

Médias: la défiance gagne du terrain

arthus-bertrand_s.jpgLe 24e baromètre annuel La Croix-TNS Sofres confirme un nouvel effritement de la confiance des français pour leurs médias (radio, presse écrite, télévision et internet).

Les Français aiment l’information mais peut-être pas celle que leur fournissent les médias à qui ils reprochent globalement leur manque d’indépendance à l’égard des pouvoirs (politique et économique) et leur goût pour le spectaculaire. Un chiffre résume ce décalage : seuls 24 % des Français ont entendu parler de Wikileaks et ont été intéressés par cette affaire. 36 % en ont entendu parler sans que cela ne les intéresse vraiment et 37 % (52 % des ouvriers) n’en ont même pas entendu parler…

 La Croix rapporte que, selon Wikileaks, la diplomatie américaine juge que « le secteur privé des médias en France, journaux, TV et radios, continue d’être dominé par un petit groupe de conglomérats. »

Selon ce 24e baromètre, ils jugent que leur qualité est globalement moins bonne sur les dix dernières années. La radio est toujours le média auquel les Français font le plus confiance (57 %), soulignant sa qualité dans la restitution de l’information. Mais ce chiffre est en repli de 3 points par rapport à 2010. La confiance dans la presse écrite recule de 6 points (49 %). Quant à la télévision, elle baisse dans une proportion moindre (– 2 points à 46 %).

médias, confiance, manipulationQuelque 35 % des Français font confiance à Internet, un chiffre stable par rapport à l’an dernier. L’intérêt des Français pour les informations données par les médias reste fort mais baisse légèrement : 69 % suivent l’actualité contre 71 % en 2010 et 79 % en 2009. Quelque 40 % estiment que la qualité des médias s’est détériorée depuis dix ans, contre 35 % qui estiment qu’elle est restée la même. Seuls 21 % des Français estiment qu’elle s’est améliorée.

médias, confiance, manipulationPour 63 % des sondés, les journalistes ne sont pas indépendants face aux pressions des partis politiques et du pouvoir (– 3 par rapport à 2010). De même, 58 % des Français sont méfiants à l’égard de la liberté des journalistes face aux pressions de l’argent (– 2 par rapport à 2010). Enfin, 56 % des Français estiment que les médias ne sont favorables ni à la droite ni à la gauche.

Le média jugé le plus neutre est Internet (pour 60 % des Français), suivi par la radio (59 %), la presse nationale (54 %) et locale (52 %). La télévision n’est favorable ni à la droite ni à la gauche pour 49 % des Français quand 33 % estiment qu’elle est favorable à la droite. Sans doute faut-il y voir aussi l’absence de pluralisme qui touche en particulier l’information télévisée.

Quant aux grands sujets de l’année écoulée, 80 % des Français estiment qu’on a trop parlé de l’affaire Bettencourt. L’affaire Woerth a été également surmédiatisée pour 59 % des sondés. Même avis à 79 % sur la Coupe du monde de football et la défaite des Bleus.

A l’inverse, 45 % des personnes interrogées pensent qu’on n’a pas assez parlé du sommet de Cancun sur le climat et 44 % des Français auraient souhaité être plus informés sur le déficit public et la dette de la France. Bref ce qui concerne leur quotidien.

Claude Baudry, journal l'Humanité

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13/12/2010

Les dix stratégies de manipulation de masses

manip2.jpgNote que Sylvain Timsit a élaboré sur les « Dix Stratégies de Manipulation » à travers les médias

1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes.

La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur.

Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

manip3.gifLa plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

manip4.jpgAu cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

Pour lire encore:

http://www.syti.net/Topics.html

19:30 Publié dans Manipulation, Réflexions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : manipulation, médias | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |

11/12/2010

CLASSES POPULAIRES ET MEDIAS

goulet.jpgEntretien avec le sociologue Vincent Goulet

« Offrir de mettre en mots le monde social »

Dans un ouvrage très commenté, le sociologue Vincent Goulet tente de décrypter la relation qu’entretiennent les classes populaires avec les médias. Il y relève un « usage de classe » de l’information mais récuse l’idée de son infl uence directe sur les comportements électoraux

À l’issue de votre étude, avez-vous constaté que les classes populaires percevaient de manière différente, singulière, les informations diffusées dans les médias ?

 VINCENT GOULET. Il faut d’abord s’entendre sur ce qu’on appelle les classes populaires. Il y a une grande diversité, une hétérogénéité des classes populaires, une diversité des trajectoires sociales, géographiques. Il est impossible de généraliser même si l’on peut tenter de dégager quelques éléments structurants. Ce qui m’a le plus interpellé, c’est de constater les usages de classe que font de l’information les milieux populaires. Elle est pour eux un moyen de se situer dans la hiérarchie sociale et, par le jeu des critiques ou des indignations que celles-ci peuvent susciter, de « sauver la face »…

Sauver la face ?

VINCENT GOULET. Les citoyens issus des milieux populaires ont conscience de n’être pas à la « bonne place » en quelque sorte. Souvent menacés par la précarité, vivant en HLM, disposant de faibles revenus… Ils subissent tout cela, mais tiennent à préserver une capacité critique et une aptitude à l’indignation qui leur permettent de se situer socialement. C’est pourquoi il y a une forte propension à s’intéresser à tout ce qui a trait aux grands, aux puissants, aux exactions des hommes politiques ou aux patrons qui s’en « mettent plein les poches »… Tout ce qui pourrait être interprété par certains comme du populisme recèle ici une fonction sociale. C’est une expérience utile pour retrouver une place acceptable à ses propres yeux, permettant également de créer autour de soi des discussions partagées.

Plus concrètement, au quotidien, comment utilise-t-on ces informations ?

VINCENT GOULET. Il y a des usages publics et des usages intimes ou familiaux. J’ai remarqué que dans les espaces publics, il y avait finalement assez peu de gens qui parlaient des informations. Les gens discutent peu en général, au pied des tours comme sur les lieux de travail. Les salariés m’avouaient qu’ils parlent souvent de sport, « mais on ne va pas trop parler politique parce que ça risque de tourner au vinaigre », disaient-ils. Cet usage public est plutôt réservé aux habitants de la cité qui se trouvent là depuis longtemps et se retrouvent autour d’un animateur de conversation, un « leader d’opinion », qui aime bien utiliser des éléments d’actualité pour avoir une place centrale dans le groupe. C’est lui qui met en forme l’opinion commune, qui va déterminer les termes acceptables, et c’est comme ça que les quartiers gardent aussi une couleur politique. Le cas que j’ai étudié, c’est une ville socialiste depuis longtemps. Pour ceux qui ont pignon sur rue, il est naturel de voter socialiste. Du coup, dans de tels lieux, il devient difficile d’afficher un vote Le Pen ou de dire ouvertement que l’on est raciste… Parce que ces leaders d’opinion ont le monopole de la parole légitime dans ces microespaces que sont les cités, la dalle, la boulangerie. Ce qui confirme que l’opinion d’une partie des gens est assez plastique et configurationnelle. Pour résumer, beaucoup de gens n’ont pas d’usage public de l’information. J’ai peu observé de discussions politiques en dehors de la présidentielle de 2007, un peu plus de discussions à caractère économique, à condition que celles-ci soient liées à des situations très concrètes comme le pouvoir d’achat ou la retraite…

Vous parliez d’un usage plus « intime » de l’information…

VINCENT GOULET. En effet, curieusement, c’est dans l’espace familial qu’il y a un usage intensif de l’information alors que l’on pourrait penser que les enjeux de citoyenneté sont moindres. Il y a souvent dans les milieux populaires un visionnage collectif, pendant le dîner, du journal télévisé. L’un des aspects les plus remarquablesest l’extrême attention accordée aux faits divers, et en particulier à tout ce qui touche aux enfants, qu’il s’agisse de pédophilie, de meurtre ou d’enlèvement. Bien sûr, le sujet est sensible dans toutes les strates sociales mais il y a un usage vraiment cathartique de ce type d’informations dans les milieux populaires. Il faut comprendre que, pour des parents confrontés à d’innombrables difficultés sociales, la seule manière de donner sens à leur vie passe par les enfants. Et si les enfants sont touchés, menacés, en gros, sont empêchés de réussir et donc de justifier l’existence des parents, c’est une véritable catastrophe. Il y a une énorme attente et une grande sensibilité à l’égard des enfants dans les milieux populaires.

Plus généralement, selon vous, l’information médiatique infl uence-telle les choix électoraux des citoyens ?

VINCENT GOULET. Le travail que j’ai fait montre bien que l’on ne peut pas raisonner en termes d’effets des médias sur le comportement électoral, en tout cas pas d’effets directs. Ce qui apparaît, et c’est plutôt marxiste, c’est que les positions politiques dépendent d’abord des conditions d’existence et des rapports sociaux. On va plutôt aller chercher le discours qui correspond le mieux à sa vision du monde, laquelle dépend de sa position dans la structure sociale et des valeurs dominantes dans son milieu. Et on ne voit jamais quelqu’un changer d’avis et passer de gauche à droite parce qu’il a été convaincu soit par un journaliste, soit par un homme politique à la radio… Personne ne se dira en ouvrant l’Huma par exemple : « Tiens j’étais communiste et je ne le savais pas ! » Les transformations sont très lentes et passent d’abord par les conditions de vie matérielles.

De ce point de vue, l’effet des médias serait nul alors ?

VINCENT GOULET. Non, mais cela se joue ailleurs. Car le discours médiatique, les émissions et les journaux offrent des espaces de parole et de reconnaissance. Et s’il n’y a que des discours entrepreneuriaux, des discours ultralibéraux, des discours sociauxdémocrates version light, s’il n’y a pas une offre qui mette en mots le monde social, l’idéologie qui correspond à ce qui est vécu dans les milieux populaires, les défavorisés ne vont pas l’inventer tout seuls, ils vont devoir se couler dans les moules existants.

Vous avez notamment étudié l’émission les Grandes Gueules sur RMC…

VINCENT GOULET. Oui, l’émission marche bien. Bien que marquée à droite, elle attire de nombreux auditeurs de gauche qui s’y reconnaissent. Parce qu’on semble y dire les choses franchement, parce que l’on peut changer d’avis, il y a une tolérance à ce niveau que les auditeurs aiment bien… Et particulièrement dans les milieux populaires, où l’on retrouve cet attachement à la liberté d’expression, au droit de se tromper. Tolérance qui existe beaucoup moins dans les classes moyennes ou petitesbourgeoises, où l’on est beaucoup plus sensible au politiquement correct. Le dispositif d’énonciation des problèmes publics qu’on trouve dans l’émission fonctionne bien parce qu’il y a un côté polémique, on intervient beaucoup… C’est assez proche de l’ethos populaire. En revanche, le cadrage idéologique est très proche du pôle libéral et entrepreneurial. C’est à la fois un horizon d’attente d’une partie du public de l’émission, les artisans commerçants, auquel s’ajoutent les opinions du patron de RMC, qui a des intérêts de droite et une façon d’analyser la société qui tentent de s’imposer à tous ceux qui « veulent s’en sortir ». Selon cet ensemble de facteurs, la chaîne va choisir ses thèmes, choisir ses intervenants, choisir ses polémiques, qui nous amènent presque toujours sur le pôle de la responsabilité individuelle, du patron qui « se bat seul contre le fisc pour donner du boulot aux pauvres gens », etc. C’est précisément là que l’idéologie entre de manière clandestine.

 Cette volonté d’imposer un « cadre idéologique » est présente dans tous les médias. On a souvent le sentiment d’assister à des débats superfi ciels, de fausses polémiques…

VINCENT GOULET. C’est tout le problème de la diversité dans les médias. Sur le débat de la réforme des retraites, par exemple, on a entendu pratiquement qu’un son de cloche. Mais se pose un autre problème qui concerne les catégories du sens commun. On nous dit : « Il faut travailler plus longtemps, puisqu’on vit plus longtemps. » L’argument est très efficace à l’instar de celui qui veut que l’on stoppe l’immigration parce qu’il y a du chômage. C’est faux mais les autres explications sont plus complexes, il faut interroger le partage des richesses, les gains en productivité… C’est d’autant plus difficile qu’aujourd’hui le flux d’informations est de moins en moins relié aux pratiques militantes et politiques.

Il y a néanmoins une presse engagée qui offre une autre version des problématiques sociales et politiques…

VINCENT GOULET. Oui, mais elle est très peu lue dans les milieux populaires. À l’inverse d’une émission comme les Grandes Gueules, qui ouvre un espace ludique, la presse engagée est extrêmement sérieuse, très austère. Or il faut bien comprendre que dans les milieux défavorisés, le ton un peu prescripteur, pédagogique et moraliste qu’emploie la presse engagée renvoie mécaniquement à une blessure : celle de l’échec scolaire. Et l’on n’a pas envie de se faire faire la leçon et de savoir si l’on aura une bonne note ou non à la fin. Cela dit, il est très intéressant d’aller y chercher sur tel ou tel aspect une information différente, mais comme objet du quotidien il y manque à l’évidence un aspect divertissant.

Dans votre ouvrage vous reprenez l’expression selon laquelle « plus qu’il ne parle, le peuple est parlé ». Que voulez-vous dire ?

VINCENT GOULET. Hors les leaders d’opinion que j’évoquais plus tôt, il est à l’évidence plus difficile pour quelqu’un situé au bas de l’échelle sociale, qui a peu de ressources culturelles, de prendre la parole et d’avoir un discours tenable devant une contradiction que pour quelqu’un de plus aisé. Dans mes entretiens, j’ai vraiment senti souvent un manque du mot, une souffrance du manque du mot. L’idée qui venait n’arrivait pas toujours à s’exprimer, d’où l’embarras : « Je ne sais plus comment on dit », ou « Je n’arrive pas à dire le mot »… Et cette situation était vécue comme une humiliation. Remarquez que beaucoup de pratiques populaires sont des pratiques silencieuses, du bricolage à la pêche à la ligne, en passant par le jardinage… Il y a donc un accès plus difficile à l’expression, et qui fait souffrir. Quant à l’expression médiatique, elle est normalement confiée à des leaders syndicaux ou associatifs, qui sont tenus d’avoir un langage de plus en plus technique, et le discours s’éloigne de celui de la base. Parfois, la rue écrit l’histoire par ses révoltes ou ses émeutes mais très vite elle est dépossédée du sens qu’elle donne à ses actions par ceux qui sont les porte-plumes officiels des dominants. Les milieux populaires ne peuvent pas parler directement, il faut que leur parole soit mise en forme. En revanche, ils peuvent se reconnaître dans certains types de paroles. Selon moi, le rôle du sociologue, de l’homme politique ou du journaliste est de produire une parole cohérente, articulée, qui puisse aller chercher des raisons de croire et d’espérer pour que les gens, avec leurs analyses, comprennent ce qui leur arrive et puisse choisir des solutions viables et crédibles. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR 

NÉCESSAIRES INFORMATIONS

Résultat d’une enquête de deux ans dans la banlieue bordelaise, Médias et classes populaires, de Vincent Goulet (INA Éditions), se lit comme « une contribution à la connaissance des classes populaires contemporaines et à leurs formes spécifi ques de compétences politiques ». L’auteur fait également une immersion dans la presse radio en décryptant l’émission les Grandes Gueules sur RMC pour mieux rendre compte de « la mise en forme du rapport populaire au politique ». Au-delà de la formation d’une opinion, les informations permettent également de gérer son angoisse face aux aléas de la précarité, trouver sa place dans la hiérarchie sociale, rendre supportable sa condition de dominé, gérer sa vie familiale et amicale, ou encore transmettre des valeurs et une vision du monde à ses enfants, explique le sociologue.

Entretien réalisé par Frédéric Durand publié par l'Humanité

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