Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/09/2025

Télé, radio, presse, réseaux sociaux : quels médias captent vraiment l’attention des Français ?

imagemedia.jpg

Qui capte vraiment l’attention des Français quand il s’agit d’information ? En combinant télévision, presse, radio, réseaux sociaux ou agrégateurs, une nouvelle mesure permet d’évaluer avec finesse la place réelle des médias dans notre quotidien. À la clé, une carte inédite du paysage médiatique, marqué par une forte concentration autour de quelques grands groupes – et une place centrale, souvent oubliée, du service public.


Pour répondre à ces questions, nous avons déployé une nouvelle mesure de consommation des médias : la part d’attention, (initialement introduite par l’économiste Andrea Prat). Contrairement aux mesures traditionnelles d’audience, cet indicateur permet de tenir compte de la multiplicité des sources et des plateformes par lesquelles l’actualité est consommée (TV, radio, presse, médias sociaux, etc.), tout en considérant que certains vont partager leur attention entre plusieurs sources alors que d’autres n’en consultent qu’une seule. Par exemple, une chaîne de télévision qui est la seule source d’information d’une population concentre 100 % de l’attention de cette population. Elle a davantage de pouvoir attentionnel qu’une chaîne qui est consommée en même temps que d’autres sources (une station de radio, un titre de presse et un média social, par exemple). Dans ce cas, si chaque source est consommée à la même fréquence, la part d’attention de la chaîne de télévision sera de 25 %, tout comme celle de la station de radio, celle du titre de presse et celle du média social.

Télé, radio, réseaux sociaux : qui capte vraiment l’attention des Français ?

À partir des données d’une enquête, menée en 2022, obtenues auprès d’un échantillon représentatif de 6 000 Français, les résultats indiquent de faibles écarts entre les sources médiatiques, même si l’attention des Français se concentre principalement sur les chaînes de télévision et les médias sociaux.

TF1 arrive en tête en cumulant 5,9 % de l’attention des Français, suivi par Facebook (4,8 %), France 2 (4,5 %), M6 (4,4 %) et BFMTV (4,1 %). Le premier agrégateur de contenus, Google actualités, arrive en onzième position (2,3 %), la première station de radio (RTL) en vingt-deuxième (1,33 %) et le premier titre de presse (20 minutes) en vingt-troisième (1,31 %).

Un marché des médias dominé par quelques groupes

En revanche, le regroupement des sources par groupe médiatique (par exemple, Facebook, Instagram et WhatsApp appartiennent à Meta) révèle une importante concentration. Les quatre premiers groupes concentrent 47 % de l’attention des Français. Si l’on prend les huit premiers groupes, on arrive à 70 % de l’attention des Français captée.

En moyenne, le groupe public composé principalement de France Télévisions et Radio France est, de loin, celui qui concentre le plus l’attention des consommateurs de médias (19,8 %), suivi par le Groupe Meta (10,1 %) et le Groupe TF1 (9,9 %).

La place centrale de médias publics

Le service public d’information, contrairement à une idée reçue, n’est donc pas réservé à une élite, mais occupe une place centrale dans le menu de consommation médiatique des Français.

Ce résultat peut s’expliquer par la confiance accordée aux médias du service public dans la production d’information (voir l’enquête du Parlement européen) et légitime l’octroi d’un budget suffisant pour y répondre. Cela met également en lumière l’importance de son indépendance vis-à-vis de l’État.

La place croissante des médias sociaux

Notons que le Groupe Meta dispose du pouvoir attentionnel le plus fort auprès des 18-34 ans, avec une part d’attention de l’ordre de 14 %, devant les groupes de médias du service public (11 %) et Alphabet-Google News (8 %).

Même si Meta ne produit pas directement d’information, il met en avant et ordonne les différentes informations auprès de ses usagers. Sans être soumis aux mêmes règles que les médias traditionnels, les médias sociaux disposent donc d’un rôle clé sur la vie démocratique.

Pourquoi cette mesure doit peser dans les décisions sur les fusions médiatiques ?

L’analyse par groupe s’avère particulièrement importante dans un contexte où les groupes de médias contrôlent une part de plus en plus importante de titres de presse, de chaînes de télévision, de stations de radios ou de plateformes d’informations au travers d’opérations de fusions ou d’acquisitions (par exemple, l’OPA de Vivendi sur Lagardère).

De récents rapports sur le secteur des médias recommandent, d’ailleurs, le recours à la part d’attention comme un nouvel outil d’évaluation des opérations de concentration sur le marché des médias d’information par les autorités de la concurrence (Autorité de la concurrence, Commission européenne, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [ARCOM]). Cet outil est particulièrement adapté pour juger si la nouvelle entité formée à l’issue de la fusion de deux groupes ou de l’acquisition de nouvelles sources par un groupe n’aurait pas un trop grand pouvoir attentionel et si le marché des médias serait trop concentré autour de quelques acteurs dans un contexte où les médias sont au cœur du processus démocratique. La littérature académique reconnaît, en effet, qu’ils peuvent influencer les positions idéologiques des citoyens, les votes et la démocratie et peuvent être idéologiquement biaisés.

Source The Conversation


Pour approfondir : S. Dejean, M. Lumeau, S. Peltier, « Une analyse de la concentration de l’attention par les groupes médiatiques en France », Revue économique, 76(2), pp. 133 à 177.

27/08/2025

Abattus "comme des mouches" : comment une unité secrète israélienne traque les journalistes de Gaza

1756280546259.jpg

L'armée israélienne utiliserait une unité secrète pour façonner le discours autour de Gaza, présentant les reporters palestiniens comme des agents du Hamas afin de justifier ses frappes. Une tactique qui, selon les experts, vise à contrôler l'information dans cette guerre, qualifiée de "pire conflit jamais connu pour les journalistes". 

La guerre à Gaza, Israël ne la mène pas qu'à l'aide de drones, de chars et de frappes aérienne. Mais aussi à coups de mot, de vidéo et de récit soigneusement élaborés.

Au cœur de cet effort, la mystérieuse "cellule de légitimation", unité de communication de l'armée israélienne, est chargée de façonner la perception internationale du conflit.

Selon le média indépendant israélien +972 Magazine, la mission de cette cellule est claire : passer au crible la vie des journalistes morts et vivants à la recherche de la moindre trace de liens avec le Hamas, aussi ténue soit-elle, afin de justifier leur assassinat.

Ces dernières semaines, plus d'une douzaine de journalistes ont été tués lors de frappes israéliennes à Gaza, mettant en évidence ce que les analystes décrivent comme une stratégie militaire délibérée visant à criminaliser le reportage palestinien.

"La tâche principale de la 'cellule de légitimation' est de discréditer le travail des journalistes palestiniens et de fournir une excuse pour les tuer", explique le politologue Ahron Bregman.

Elle surveille ainsi les reportages provenant de Gaza et diffuse des contre-discours sur les réseaux sociaux et les ondes internationales. Par ailleurs, elle présente souvent les journalistes palestiniens comme des agents du Hamas, une affirmation que les défenseurs de la presse et les analystes jugent pour le moins fragile.

"Les liens qu'Israël établit entre les journalistes palestiniens et le Hamas sont souvent ténus, mais dans le cadre de la guerre de Hasbara menée par Israël [terme désignant la stratégie de communication menée par l’État hébreu en direction de l’étranger, NDLR], ils suffisent à justifier leur assassinat", ajoute Ahron Bregman.

Une guerre des récits

Cette stratégie s'est manifestée dans plusieurs affaires très médiatisées. Début août, le correspondant d'Al Jazeera Anas al-Sharif a été tué avec quatre de ses collègues lors d'une frappe près de l'hôpital al-Shifa de Gaza.

L'armée israélienne a alors diffusé des documents affirmant qu'il était un agent du Hamas depuis 2013. Pourtant, si l'on en croit ces documents, son dernier contact avec le Hamas remontait à 2017, soit plusieurs années avant la guerre actuelle.

Âgé de 28 ans, Anas al-Sharif avait passé des mois à couvrir le nord de la bande de Gaza, rendant compte de la famine et des frappes aériennes incessantes. "Je n'ai jamais hésité un seul jour à transmettre la vérité telle qu'elle est, sans déformation ni falsification", écrivait-il dans un message rédigé avant sa mort.

Une tactique similaire a été employée après l'assassinat du journaliste Ismaïl al-Ghoul, et de son caméraman, en juillet 2024.

Quelques semaines plus tard, l'armée l'a qualifié de "terroriste Nukhba" – une branche des forces spéciales du Hamas –, en citant un document de 2021 qui aurait été récupéré sur un ordinateur du Hamas. Mais ce même document indiquait qu'il avait été intégré en 2007, alors qu'Ismaïl al-Ghoul n'avait que dix ans.

Les tactiques de la cellule de légitimation sont "alarmantes", s'inquiète auprès de France 24 un journaliste à Gaza, qui a souhaité garder l'anonymat. Selon lui, elles mettent la vie des reporters en danger en les associant à des groupes armés.

"Nous travaillons déjà dans la peur constante des frappes aériennes, de la perte de collègues, du silence. Aujourd'hui, la menace touche également notre réputation, nous privant du soutien et de la protection de la communauté internationale", poursuit le journaliste.

"Il s'agit d'un effort systématique visant à délégitimer nos voix et à empêcher la vérité sur Gaza d'atteindre le monde. Nous sommes présentés comme des cibles, et non comme des professionnels rapportant les faits."

En 2024, l'organisation Forbidden Stories, qui rassemble des journalistes du monde entier, a enquêté sur le meurtre de près d'une centaine de reporters palestiniens par l'armée israélienne dans le cadre de son projet Gaza.

"L'armée israélienne participe à la désinformation autour des journalistes pour laisser penser que tous les journalistes qui opèrent sur place sont des agents du Hamas", explique à France info le directeur du consortium, Laurent Richard.

"Dans un premier temps, ça consiste à lancer des rumeurs, des infos par des sites qui sont très proches du gouvernement et qui vont expliquer que tel ou tel journaliste est en réalité un terroriste. Et quelques semaines ou mois plus tard, le journaliste se retrouve ciblé par un drone. Il sera blessé ou tué."

1756280486789.jpg

"Le pire conflit pour les journalistes"

Lundi, Israël a frappé à deux reprises l'hôpital Nasser, principal hôpital du sud de Gaza, tuant au moins 20 personnes, dont six journalistes, selon les autorités. Reporters sans frontières (RSF) a condamné ces frappes, les qualifiant d'"élimination progressive de l'information à Gaza" par Israël, et a appelé à la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies.

"Jusqu’où iront les forces armées israéliennes dans leur entreprise d’élimination progressive de l’information à Gaza ? Jusqu’à quand défieront-elles le droit international humanitaire ?", a déclaré Thibaut Bruttin, directeur de RSF.

Les observateurs des médias estiment qu'environ 200 journalistes ont été tués en près de deux ans de combats entre Israël et le Hamas, faisant de Gaza le conflit le plus meurtrier pour cette profession dans l'histoire moderne. En avril, le Watson Institute de l'université Brown l'a décrit comme "le pire conflit jamais connu pour les journalistes".

"Israël abat les journalistes palestiniens comme des mouches", affirme Ahron Bregman. "La méthode israélienne est simple : ils autorisent l'entrée dans la bande de Gaza des journalistes et des influenceurs qui, selon eux, soutiendront le discours israélien, et réduisent au silence – souvent à coups de balle – ceux qui contredisent ce discours."

"Un immense problème démocratique d'accès à l'information"

Outre le cas d'Anas al-Sharif, Israël se défend de viser intentionnellement les journalistes, affirmant que les frappes aériennes ciblent uniquement les militants et les infrastructures militaires. L'armée israélienne n'a, quant à elle, pas répondu aux demandes de commentaires sur l'existence ou les activités de la cellule de légitimation.

Après la frappe, lundi, contre l'hôpital Nasser, le chef d'état-major de l'armée a ordonné une enquête préliminaire, soulignant que l'armée israélienne "ne vise en aucun cas les journalistes en tant que tels".

Mais pour les groupes de défense de la liberté de la presse, le schéma est clair : les journalistes sont diffamés en tant que militants du Hamas, puis tués lors de frappes justifiées par ces mêmes allégations. Pour Ahron Bregman, c'est une question de contrôle de l'information, et non d'une nécessité militaire.

"Tout cela relève de la Hasbara et du contrôle du discours qu'Israël veut faire croire au monde. Cela n'a rien à voir avec la sécurité et les opérations militaires", ajoute le politologue.

L'État hébreu étend son contrôle sur le récit de Gaza au-delà de la zone de conflit, réglemente strictement les reportages étrangers en n'autorisant l'accès qu'aux journalistes intégrés à ses forces.

"C'est l'une des rares fois dans l'histoire moderne qu'un conflit de cette ampleur ne peut être couvert et raconté par des journalistes qui veulent s'y rendre", déplore Laurent Richard. "Qu'un pays refuse l'accès à des journalistes étrangers à une zone de guerre, c'est un immense problème démocratique d'accès à l'information."

La cellule de légitimation est plus qu'un simple outil de relations publiques. Elle incarne la militarisation de l'information, où chaque mot, chaque image ou chaque reportage sont examinés comme une menace potentielle. Dans ce contexte, les journalistes ne sont pas seulement des messagers, mais deviennent des cibles.

"Être journaliste ne devrait pas faire de nous des cibles", affirme à France 24 le reporter palestinien sous couvert d'anonymat. Mais malheureusement, l'armée israélienne tente de nous étiqueter comme tels, traumatisant à la fois le public et les reporters eux-mêmes."

Source France 24

11:17 Publié dans Actualités, Journal, Journaliste | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal, journalistes, gaza, israel | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |

10/01/2025

Comment les journaux français couvrent la guerre à Gaza

Gaza bombardements 648.jpg

En dépit d’un bilan humain effroyable, le récit de la guerre à Gaza fait par les grands titres vendus en kiosques tend à invisibiliser les victimes du côté palestinien. L’Humanité a mené l’enquête en collaboration avec l’ONG Techforpalestine en analysant 13 394 articles consacrés au conflit publiés dans cinq journaux français... dont l'Humanité.

« Les gens ont peur, c’est l’omerta », affirmait la journaliste du Figaro Eugénie Bastié dans sa dernière « enquête » dénonçant le supposé prisme pro-Palestiniens du journal le Monde dans sa couverture de la guerre à Gaza. Pourtant, en dehors des polémiques entretenues par la droite et l’extrême droite, rien ne permet d’affirmer que la presse française se soit émue du sort des Palestiniens depuis le 7 octobre 2023.

Grâce au travail de l’ONG Techforpalestine et de son outil Media Bias Meter, nous avons pu analyser les données d’un corpus de 13 394 articles consacrés au conflit par des journaux français : l’Humanité, Libération, le Monde, le Figaro et le JDD. Et, loin des obsessions de certains de nos confrères, on peut en conclure que la presse française ne se distingue vraiment pas par un engagement en faveur des Palestiniens.

Depuis le 7 octobre, la riposte d’Israël aux attaques meurtrières du Hamas a été abordée avec distance. Malgré l’ampleur des destructions et le lourd bilan humain – 46 738 morts confirmés, en date du 8 janvier –, les rédactions ont fait état du conflit en invisibilisant les premiers concernés : les Palestiniens.

Gaza faim648.jpg

« Une sorte de masse indistincte »

En filtrant les articles de chaque journal avec les termes « Palestiniens » et « Palestiniennes », on découvre qu’ils figurent dans moins de la moitié des articles sur la guerre en cours. Dans le Monde, l’Humanité et Libération, la part des articles mentionnant les Palestiniens est respectivement de 47 %, 41 % et 37 %. Pour le Figaro, cette même part tombe à 28 %, soit 19 points de moins que le Monde, 13 points de moins que l’Humanité et 9 points de moins que Libération. Mais c’est dans le JDD que cette invisibilisation est la plus flagrante, avec seulement 21 % des articles sur la guerre à Gaza mentionnant les Palestiniens.

À l’inverse, le JDD mentionne les Israéliens dans 32 % des articles, soit près d’un tiers, et surtout 11 points de plus que pour les Palestiniens. On retrouve une configuration similaire dans les pages du Figaro, de Libération et du Monde, avec respectivement 33 % (+ 5 points par rapport aux Palestiniens), 46 % (+ 8 points) et 50 % (+ 3 points). Dans l’Humanité, les Israéliens sont mentionnés dans 35 % des articles, soit 6 points de moins que les Palestiniens.

Invisibilisation du massacre de la population palestinienne

« On est dans un huis clos, il est très difficile de donner un visage et de faire entendre la voix des personnes qui subissent la guerre. Donc, on a une impression un peu vague, comme une sorte de masse indistincte », analyse Nathalie Godard, directrice de l’action d’Amnesty International en France. Outre l’invisibilisation du massacre de la population palestinienne, cet élément soulève d’autres remarques sur ce récit médiatique.

« Consciemment ou non, cet angle mort lexical accompagne symboliquement l’entreprise de dilution, pour ne pas dire de destruction, de l’identité nationale palestinienne menée depuis des décennies par l’État d’Israël », souligne Pauline Perrenot, journaliste à Acrimed, association spécialisée dans la critique des médias.

Une autre opération menée de longue date par l’État israélien est elle aussi passée sous les radars : la colonisation des territoires occupés. Si l’on retrouve le terme de « colonisation » dans 10 % des articles de l’Humanité et dans 7 % de ceux du Monde, il n’est présent que dans 4 % des pages du JDD consacrées au conflit et dans 2 % de celles de Libération et du Figaro. « En proportion de ce qui est écrit sur la guerre, on est largement en deçà de ce qui était écrit auparavant sur le sujet », analyse Dominique Vidal, journaliste et historien.

gaza,médias

La guerre à Gaza n’a pas stoppé la colonisation

Sauf que la guerre à Gaza n’a pas stoppé la colonisation, bien au contraire. 1 746 attaques de colons ont été recensées entre le 7 octobre et le 3 janvier. Encouragées par les discours racistes et suprémacistes des ministres israéliens d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, elles ont coûté la vie à 791 Palestiniens.

Quant au génocide, désormais reconnu par des organisations telles qu’Amnesty International, Médecins sans frontières ou Human Rights Watch, le manque d’attention médiatique est encore plus flagrant. En ne conservant que les articles publiés à partir du 26 janvier 2024, date à laquelle la Cour internationale de justice met en garde contre le risque d’un génocide à Gaza, on découvre que trois des cinq journaux analysés ont évoqué le terme dans moins de 10 % de leurs écrits sur le conflit.

La part est de 6 % pour le Figaro, 7 % pour Libération et 8 % pour le JDD. Si elle dépasse les 10 % dans les colonnes de l’Humanité et du Monde, elle reste faible. Pour le premier, elle s’établit à 18 %, soit trois fois plus que le Figaro. Dans le quotidien du soir, elle est de 11 %.

Pour Pauline Perrenot, il est clair qu’avant la date du 26 janvier le génocide n’a pas « fait l’agenda », bien que le terme ait pourtant été très vite utilisé par les Palestiniens eux-mêmes ainsi que par certains chercheurs, intellectuels ou juristes.

Une entreprise de disqualification quasi systématique

« L’augmentation des occurrences dans une partie de la presse ne signifie pas, pour autant, que la médiatisation ait été à la hauteur d’un événement pourtant historique », analyse la journaliste. Une bonne partie des occurrences peuvent en effet être rattachées à l’entreprise de disqualification quasi systématique des acteurs évoquant le génocide. Entreprise qui s’est surtout déployée dans les médias audiovisuels, mais également dans la presse par le biais de tribunes et d’éditoriaux.

Cette disqualification, Amnesty International en a fait les frais, et ce même avant la publication de son rapport sur le génocide rendu public le 4 décembre 2024. « Après le 7 octobre, nous avons essayé de traiter les choses avec du factuel et de l’analyse juridique (…) dans un moment où c’était d’abord l’émotion et la polarisation qui prenaient le dessus sur tout le reste, raconte Nathalie Godard. Nous subissions des attaques extrêmement fortes avec un système récurrent : un éditorial qui nous critiquait pour l’emploi ou non d’un terme, puis un autre qui ne vérifiait pas le premier. » Le tout amplifié par des centaines de partages sur les réseaux sociaux.

Contribuer à la « fabrique du consentement au génocide »

En plus de les invisibiliser, la presse entretient un double standard au sujet des Palestiniens. Quand les morts israéliens font la une des quotidiens, les morts palestiniens tiennent en un chiffre en bas de page. Quand on ne compte plus les séries de portraits des victimes du Hamas, le bilan des victimes palestiniennes est mis en doute. Quand le 7 octobre représente l’horreur absolue car des civils sont tués, les hôpitaux gazaouis remplis de femmes et d’enfants sont bombardés car des membres du Hamas s’y cachent.

Ce deux poids deux mesures s’explique notamment par une focalisation sur les attaques du 7 octobre. Comme si le temps s’était arrêté à ce moment-là, et que rien de ce qui s’est produit par la suite ne pouvait être plus horrible.

À l’exception de l’Humanité, on retrouve les termes « 7 » et « octobre » en tête des collocations (association fréquente de deux éléments dans un discours) du mot « massacre » dans tous les journaux étudiés. Ce terme de « massacre » est associé au terme « juifs » dans les 10 premières collocations du journal le Monde, et le plus souvent à celui d’« antisémite » dans le Figaro et le JDD.

« Nous combattons des animaux humains »

« À de rares exceptions près, le récit du 7 octobre domine dans le discours médiatique », analyse Dominique Vidal. Or, comme le rappelle ce spécialiste du conflit israélo-palestinien, les signes du déchaînement aveugle de la violence israélienne sont visibles dès le surlendemain.

« Nous combattons des animaux humains », déclarait le ministre de la Défense, Yoav Gallant, dans son discours du 9 octobre, promettant par la même occasion qu’il n’y aurait « pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau » à Gaza.

« On a affaire à un naufrage persistant de la plupart des médias dominants, lesquels auront tout de même amplement participé, par leurs partis pris et leurs silences, à la fabrique du consentement au génocide », conclut Pauline Perrenot.

Bombarder les écoles et les hôpitaux, affamer la population, bloquer l’aide humanitaire, torturer les prisonniers ou bien encore utiliser les Palestiniens comme boucliers humains… rien, rien de tout ça n’aura suscité une émotion médiatique comparable à celle du 7 octobre.

Sources et méthodologie

Pour réaliser cette enquête, l’Humanité a analysé 13 394 articles de presse. Dans le détail : 2 827 de l’Humanité, 2 408 articles de Libération, 2 668 articles du journal Le Monde, 3 788 articles du Figaro et 1 703 articles du JDD. Ce corpus regroupe les articles, éditoriaux, tribunes et brèves de direct concernant la guerre à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 11 octobre 2024. Il nous a été fourni par l’ONG Techforpalestine et a fait l’objet de plusieurs nettoyages basés sur une liste de mots clés avant l’analyse statistique.

Grâce à leur outil d’analyse (Media Bias Meter) nous avons pu calculer les occurrences de plusieurs termes (Palestiniens, israéliens, génocide…) et le nombre d’articles correspondant afin de calculer des parts en pourcentage. Les collocations de termes ont ensuite été calculées grâce au logiciel opensource VoyantTools.

Cette analyse statistique s’inscrit dans une démarche quantitative. Les données de cette enquête mettent en lumière un phénomène global dans le récit médiatique. Elles ne permettent pas d’expliciter un phénomène qualitatif sur une sélection réduite des articles.

20:04 Publié dans Actualités, Dossier, Eclairage, Journal, Journaliste | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gaza, médias | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |

Bluesky, un réseau social concurrent de X, mais économiquement très fragile

Bluesky2.jpg

Bluesky, concurrent de X, boucle un nouveau tour de table

Le réseau social est valorisé à environ 700 millions de dollars dans un nouveau tour de table qu’il est en train de boucler, après une croissance explosive de ses abonnés à la suite de la victoire de Donald Trump. Bluesky compte désormais 25,9 millions d’utilisateurs. Il reste néanmoins largement déficitaire.

Bluesky est un réseau social conversationnel, dans la lignée de X (ex-Twitter), Threads ou Facebook. Avec plus de 23 millions d’utilisateurs début décembre 2024, le réseau a pratiquement doublé sa base en quelques mois à peine. Mais comment expliquer ce succès ? Faut-il ou non investir ce réseau ? Concrètement, que peut-on y trouver ? Nos éléments de réponses.

Bluesky ou le proto-Twitter resté sain

Copie (presque) conforme

Si vous avez l’impression d’avoir toujours connu Bluesky, la plateforme de microblogging la plus en vue du moment, c’est bien normal ! Son créateur n’est autre le co-fondateur de Twitter, l’ingénieur informatique Jack Dorsey. Le projet Bluesky date d’ailleurs de… 2019. Soit, plusieurs années avant la prise de contrôle de Twitter et sa transformation en « X » par le milliardaire Elon Musk.

Aujourd’hui, les deux entreprises n’ont plus d’autre lien que leurs origines. Et un fonctionnement très similaire. Pour beaucoup, Bluesky est ainsi le « Twitter des origines », celui qui a séduit et percé en 2006.

Les raisons d’un succès

L’exode des « X-pats »

Comme on le disait, Bluesky existe en fait depuis quelques années déjà – même si au départ, il n’était accessible que sur invitation de membres.

Son essor commence fin 2022, suite au rachat de Twitter par Elon Musk. La gestion ultra-libérale du réseau, devenu « X » entre temps, déplaît à bon nombre d’utilisateurs, qui se mettent à chercher des alternatives. La gronde commence.

Loin de calmer les inquiétudes, la nouvelle direction côté X licencie la moitié de ses équipes, amoindrit fortement les règles de modération, accumule les bugs et monétise de plus en plus de fonctionnalités qui avaient toujours été gratuites.

Mais ce qui déplaît plus que tout, c’est bel et bien la politisation du réseau. Sous réserve de liberté d’expression, Elon Musk rouvre les comptes de complotistes et de personnalités extrémistes, qui avaient été bannies du réseau. La parole se libère et devient vite anxiogène et toxique.

Les « fake news » se multiplient sans presque plus de réaction de la part des (quelques) modérateurs qui restent dans les équipes. Au point que le réseau est comparé au « Truth Social », la plateforme de Donald Trump.

C’est d’ailleurs Donald Trump qui lance réellement, sans le vouloir, la popularité de Bluesky. La campagne présidentielle américaine exacerbe les tensions autour de X avec un discours toujours plus polémique et politisé. L’année 2024 marque en ce sens une fracture. La coupe est pleine pour une large partie des internautes, qui ne se reconnaissent plus dans le réseau social. Ce qui s’appellent eux-mêmes les « X-pats » (expatriés) quittent massivement X pour se réfugier sur un réseau qu’ils qualifient de « positif », de ce que « Twitter aurait dû être ».

Qui a lancé le mouvement ? Les grands médias (The Guardian, Ouest France) ? Les annonceurs (Apple, Disney, Balenciaga) ? Ou encore, les célébrités et les influenceurs ? (Jamie Lee Curtis, Alyssa Milano, Stephen King…). Impossible à dire ! Le fait est que les internautes ont suivi. Tandis que X est en perte de vitesse, les chiffres de son cousin rival explosent.

Bluesky, concrètement, à quoi ça ressemble ?

Un réseau rassurant, sans surprise

« Positif » et « rassurant », voilà ce qui revient le plus quand on parle de Bluesky. Ces qualités attirent les foules, dans un contexte géopolitique tendu. Quand une partie de la population ne lit même plus la Presse pour préserver sa santé mentale et éviter l’anxiété.

Évidemment, cela ne suffit pas. Bluesky bénéficie aussi de la nostalgie Twitter, des utilisateurs qui se souviennent des débuts enthousiastes du réseau. Ce Twitter mythique, qui a permis par exemple les révolutions du « Printemps Arabe ». Ou celui qui a rassemblé, au moment de « Je suis Charlie ». Ce n’est pas un hasard si les concepteurs du réseau ont conservé un design ressemblant à s’y méprendre à celui de Twitter/ X. Le rapprochement est évident.

Plus que le design, le fonctionnement est très similaire également. Une plateforme de micro-blogging où les messages de texte concis sont rois (< 300 caractères pour Bluesky Vs < 280 pour X). Les fichiers multimédias ne sont pas en reste : chaque post peut s’accompagner d’une pièce jointe, qu’il s’agisse d’un gif, d’une simple image ou d’une vidéo. 

Pour autant, Bluesky est un réseau de la simplicité : pas question de surcharger son profil en vidéos à l’image d’un TikTok. Contrairement au réseau chinois, où l’information est descendante (du créateur de contenu vers le public), Bluesky favorise l’échange et la discussion. On revient au principe de base du micro-blogging. En ce sens, Bluesky est à rapprocher du Twitter des années 2000, du Facebook des origines ou encore de Tumblr. Et, pour prendre un exemple actuel, du « Threads » de Meta, qui complète Instagram.

Source Nord Est

11:30 Publié dans Actualités, Dossier, Réseaux sociaux | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | |